Page:Trollope - Les Bertram, volume 2.djvu/250

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line Waddington s’était jadis imaginé, elle aussi, que son cœur n’était qu’un viscère propre à faire circuler le sang, mais elle avait découvert sa méprise. Elle avait été détrompée à temps, elle avait appris ce que c’est que d’aimer, et pourtant elle avait épousé Henry Harcourt ! Si boiteux que puisse être le châtiment ici-bas, il est bien rare qu’il n’atteigne pas les coupables qui pèchent, comme elle l’avait fait, de propos délibéré.

Le châtiment — l’amer, le cruel, l’implacable châtiment l’avait atteinte enfin, et l’étreignait maintenant sans pitié. George avait dit qu’il était malheureux, lui aussi. Mais en quoi le malheur de George pouvait-il se comparer au sien ? Il n’était pas marié, lui, à une créature qu’il haïssait, il n’était pas uni par des liens révoltants à un compagnon de chaîne contre lequel tout son être se soulevait de dégoût. Ce supplice de Mézence lui était épargné. Oh ! si elle eût pu être seule — seule comme il était seul, lui ! S’il lui eût été donné de pouvoir penser à son amour, de pouvoir songer à lui dans la solitude et dans le silence, — dans une solitude que nulle brute au front d’airain et aux pieds d’argile n’aurait eu le droit de troubler à toute heure du jour et de la nuit ! Si son malheur eût pu ressembler au malheur de George, combien elle se serait estimée heureuse !

Alors elle se demanda de nouveau, s’il n’y avait aucun moyen de salut. Elle savait à merveille que de certaines femmes s’étaient séparés de leurs maris ; elle n’ignorait pas que les mauvais traitements, l’abandon, ou la tyrannie étaient acceptés par le monde comme