Page:Trollope - Les Bertram, volume 2.djvu/414

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nière nuit, à la veille du mariage, que je le haïssais de toute mon âme, que l’honneur même me commandait de reprendre ma parole ; — oui, l’honneur, la vérité et la justice. Mais l’orgueil me retint, — l’orgueil et ma colère contre vous.

— Il est inutile d’y penser aujourd’hui, mon amie.

— Ah ! oui, bien inutile. Que ne l’ai-je fait alors, — même au dernier moment ! Ils me demandèrent si j’aimais cet homme. Tout bas, je me disais qu’il me faisait horreur, mais tout haut ma voix répondit : « Oui. » Un pareil mensonge prononcé dans le saint temple de Dieu, devant son autel ; un pareil parjure me sera-t-il jamais pardonné ?

— Mais si je retourne auprès de lui, je n’en serai que plus criminelle, reprit-elle après un moment. Je n’ai aucun droit, George, à rien exiger de votre bonté comme cousin ; mais au nom de votre amour, de votre ancien amour que vous ne pouvez oublier, je vous conjure de me sauver de cette extrémité ; ou plutôt je vous supplie de m’épargner la nécessité d’avoir à me sauver moi-même.

Cette nuit-là, George veilla fort tard. Il réfléchissait au lendemain, et tâchait de se rendre compte de sa position. Si M. Pritchett eût été là, il n’eût pas manqué de lui répéter ces mots pleins de mystère et de grandeur : — Douze millions et demi, monsieur George ! douze millions et demi ! Et, à vrai dire, quoique M. Pritchett fût bien loin, le souvenir de ces coffres-forts débordants se présenta, malgré lui, à l’esprit de George. Qui oserait dire qu’à sa place il n’y eût pas pensé ?