Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, II.djvu/102

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grains. Comme les sieurs Jauge et Malepeyre avaient pour associé, dans cette cargaison, le sieur Brandt, négociant à Bremen, celui-ci désira que ces grains lui fussent renvoyés pour être employés à fabriquer de l’eau-de-vie de grain, ce qui fut exécuté. Les propriétaires sauvèrent ainsi une partie de la valeur de leur cargaison.

Je vois, par les factures qui m’ont été mises sous les yeux, que cette cargaison, composée de 81 lasts, mesure de Hollande[1], a coûté en tout pour achats, fret jusqu’à La Rochelle, frais de transport et de toute espèce à Angoulême, frais de retour à Bremen, 27,883 liv. 8 sous 8 deniers. La totalité de ce qu’elle a produit, en y comprenant la vente d’une portion des grains moins altérés faite à Angoulême, a monté à 15,135 liv. 10 sous 9 deniers.

Il résulte, de la comparaison de ces deux sommes, que les propriétaires de cette cargaison sont en perte de 12,747 liv. 7 sous 11 deniers.

Si moi, ou les négociants chargés par moi des approvisionnements, avions pris avec le sieur Jauge un engagement absolu de prendre sa cargaison ; si, dans les lettres qui lui ont été écrites et à son correspondant de La Rochelle, il n’avait pas été expressément énoncé de ne la faire passer à Angoulême qu’autant qu’elle serait marchande ; si c’était par mon fait ou par l’ordre des négociants de Limoges que la cargaison eut été envoyée de Charente à Angoulême, je me croirais rigoureusement obligé de tenir compte au sieur Jauge et à ses associés, non-seulement de cette perte de 12,747 livres 7 sous 11 deniers de l’achat à la vente, mais encore de tout l’excédant de valeur qu’auraient eu v ces grains en supposant que, conformément à leur première destination, ils eussent été vendus à Nantes ou à Bordeaux ; car alors ils auraient certainement été placés à un prix très-haut, et n’auraient pas supporté tous les frais dont ils ont été chargés en pure perte. D’après la connaissance que j’ai de ce que valaient alors les grains à Nantes et à Bordeaux, j’ai lieu de croire que cette cargaison, qui contenait un peu plus de 1,500 setiers, mesure de Paris[2], aurait rapporté bien près de 6,000 fr. de profit sur le pied de 18 fr. le setier, mesure de Paris. Ces 6,000 liv., ajoutées à plus de 12,000 liv. de perte, forment une différence de plus de 18,000 liv. Peut-être serait-il juste que les juges de police

  1. Le last d’Amsterdam équivaut à 29 hectolitres 18 litres.
  2. Le setier, mesure de Paris, équivaut à 156 litres.