d’Angoulême, dont l’erreur a été si funeste, fussent responsables en leur propre et privé nom d’une perte qui est leur ouvrage. Ils le mériteraient d’autant plus, que j’ai toutes sortes de raisons de penser que leur prétendu zèle a été principalement allumé par l’idée où ils étaient que c’était moi qui avais fait venir ce grain, et par le désir de persuader au peuple que je voulais le faire vendre pour en faire du pain. Je sens cependant combien il y aurait de difficultés à prononcer contre eux une semblable condamnation. Il y en aurait peut-être une plus grande encore à la faire exécuter, vu la médiocrité de leur fortune ; mais je ne puis m’empêcher de sentir vivement combien il est dur pour d’honnêtes citoyens que des juges ignorants puissent ainsi se jouer impunément de leurs biens et compromettre leur réputation.
Je reviens à ce qui me concerne. Je vous ai déjà observé que je n’avais point d’engagement rigoureux avec le sieur Jauge. La question a été discutée en ma présence par l’examen des lettres écrites de part et d’autre, entre les négociants de Limoges chargés de l’approvisionnement et le fils du sieur Jauge, qui s’était rendu à cet effet à Limoges ; mais quoique le sieur Jauge n’ait aucun droit rigoureux à l’indemnité qu’il réclame, je ne puis m’empêcher d’être touché des considérations multipliées qui s’élèvent en sa faveur. Il est certain, comme je l’ai déjà remarqué, que cette cargaison eût été vendue à Nantes avec profit, et qu’elle y serait arrivée avec infiniment moins d’altération qu’elle n’en a subi dans le transport de La Rochelle à Charente, et de Charente à Angoulême dans une saison très-chaude et très-humide. Je ne puis me dissimuler que c’est principalement sur mes invitations que le sieur Jauge s’est déterminé à faire passer ce vaisseau à Charente. Le tort des officiers de police d’Angoulême ne m’est assurément pas personnel ; mais il me paraît incontestable que, quand des raisons de police ou d’utilité publique obligent à donner atteinte à la propriété d’un citoyen auquel il n’y a aucun délit à reprocher, le public lui doit une indemnité proportionnée à la perte qu’il essuie pour le service du public. Ce principe est surtout applicable à la circonstance dont il s’agit. Aucune propriété ne mérite certainement plus de faveur que celle d’un négociant qui, dans un temps de disette, vient au secours d’une province affligée en y faisant importer des grains. Le transport de cette denrée par mer est par lui-même sujet aux plus grands risques, et