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Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, II.djvu/104

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celui de réchauffement est un des plus fâcheux. Un négociant est déjà trop à plaindre de perdre par cet accident la plus grande partie de la valeur des grains qu’il fait importer ; il est au moins de toute justice de ne pas lui enlever le reste en anéantissant la denrée même, et détruisant la valeur que lui donnent les usages auxquels elle peut être propre encore. Je crois que, s’il peut y avoir des raisons de police bien fondées pour ordonner cette destruction, il est de justice rigoureuse de tenir compte au propriétaire de la valeur détruite, dans le cas où les juges, par ignorance ou par prévention, auraient fait perdre à un négociant sa propriété. Le gouvernement, au nom duquel ces juges agissent toujours, serait sans doute en droit de leur faire supporter l’indemnité due au citoyen lésé ; mais, soit que le gouvernement trouve la conduite de ces juges bien fondée et qu’il l’approuve, soit qu’il use d’indulgence envers eux, je pense qu’il doit se charger de l’indemnité.

La conséquence de ces principes serait peut-être d’indemniser le sieur Jauge et ses associés, sinon du profit qu’ils auraient fait en vendant leur cargaison à Nantes, du moins de la totalité de la perte de l’achat à la vente. Cependant, j’observe qu’il est assez difficile de connaître précisément le tort que le voyage d’Angoulême et la conduite des juges de police de cette ville ont fait à ce grain, et qu’il est constant qu’en arrivant à Charente il avait déjà souffert quelque altération dont le gouvernement ne doit pas répondre. D’ailleurs, j’avoue que l’excédant des dépenses qu’ont entraînées toutes mes opérations sur la recette, et la somme très-forte dont je me trouverai à découvert, me rendent un peu moins hardi, que je ne le serais dans toute autre circonstance, à vous proposer de dédommager pleinement le sieur Jauge et ses associés. Je me bornerais donc à vous proposer déporter leur indemnité aux deux tiers, ou tout au moins à la moitié de la perte. Mais, avant de me fixer sur cette alternative, je vais examiner le troisième motif sur lequel ce négociant et ses associés se fondent pour demander une indemnité.

Me trouvant à Brive au commencement de novembre 1770, je fis part au sieur Malepeyre de mes inquiétudes sur la subsistance des habitants de la Montagne. Il me fit sentir combien dans les circonstances ce commerce était devenu difficile, vu l’impossibilité de tirer des grains du Nord, et le haut prix qu’avait cette denrée dans les différents ports de France d’où l’on pouvait s’en procurer. Je lui