Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, II.djvu/128

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jetterait nécessairement dans l’arbitraire qu’on aurait voulu éviter.

Ce système a encore un autre inconvénient. Le roi veut, et il est juste en effet, qu’une charge comme celle de la milice soit répartie également sur tous ceux qui y sont sujets ; mais rien ne sera plus difficile, si entre les différentes communautés dont une province est composée, les unes sont obligées de fournir des miliciens, tandis qu’on n’en demande point aux autres ; car il résultera de là une facilité très-grande d’éluder le tirage de la milice. On verra chaque année une émigration continuelle des paroisses assujetties au tirage dans celles qui en seront affranchies. Il arrivera de là que les fuyards de milice se multiplieront par la facilité de se dérober aux recherche ; et c’est un très-grand malheur, d’abord pour le grand nombre d’hommes que cette qualité de fuyards condamne à mener, loin de leurs familles et de leur patrie, une vie toujours inquiète, toujours agitée, qui les jette bientôt dans le vagabondage, et de là dans le crime ; en second lieu pour l’État, par la dispersion des agriculteurs, par l’augmentation du nombre des mauvais sujets et des coureurs de pays aux dépens des hommes laborieux et domiciliés. L’expérience fait voir qu’une grande partie des fuyards échappe toujours à la poursuite, et c’est une augmentation de charge pour ceux qui restent, et qui sont précisément les meilleurs sujets et les plus précieux à conserver pour les travaux de la culture. Je ne parle pas des difficultés auxquelles donne lieu, dans l’opération du tirage, cet affranchissement d’une partie des communautés. Lorsque toutes sont à peu près également chargées, comme dans les tirages que j’ai faits depuis l’ordonnance du 27 novembre 1765, il est fort simple défaire tirer dans chaque paroisse ceux qui s’y trouvent à l’époque du tirage. On ne leur fait aucun tort, puisqu’ils tireraient également chez eux ; mais, dans le cas où plusieurs paroisses sont affranchies, tous prétendront devoir être exempts, et il faudra que les commissaires jugent une foule de questions de domicile quelquefois très-épineuses, et qui sont une source continuelle de surprises, d’injustices ou de prédilections. Si l’on veut alors assujettir au tirage les étrangers qui se trouveront dans chaque paroisse, on doit s’attendre que tous les étrangers quitteront la paroisse, et que les ouvrages auxquels ils étaient occupés seront interrompus au préjudice des propriétaires et de l’agriculture en général.

Le système de charger tous les ans toutes les communautés d’une