Le royaume a besoin de défenseurs, sans n’ouïe ; mais s’il y a un moyen d’en avoir le même nombre, et de les avoir meilleurs, sans forcer personne, pourquoi s’y refuser ? N’est-il pas préférable, par cela seul qu’il est plus doux ? Pourquoi défendre aux garçons d’une paroisse de se délivrer de toutes les inquiétudes du sort par le sacrifice d’une somme modique pour chacun, mais qui, par la réunion de toutes les contributions, devient assez forte pour engager un d’entre eux à remplir librement ce qu’on exige d’eux ? Pourquoi s’opposer à ce qu’un homme, nécessaire à sa famille, mette à sa place un homme qui fera ce même service avec plaisir ?
Je ne doute pas qu’on n’ait été déterminé par des motifs solides à exiger absolument que le sort soit tiré effectivement dans toutes les paroisses, et à proscrire tout engagement volontaire. Qu’il me soit permis d’examiner tous ces motifs.
jouissant, à d’insignifiantes exceptions près, des mêmes avantages que les regnicoles, il était juste qu’ils participassent à la plus lourde des charges que supportent ces derniers. De plus, les députés des départements frontières faisaient valoir cette autre considération, que la population de chaque circonscription territoriale servait de base à la répartition annuelle des contingents militaires, et que comme les recensements comprenaient les étrangers aussi bien que les nationaux, il y avait nécessairement surcharge très-forte pour les localités où ceux-ci se trouvaient en grand nombre. La Chambre allait se rendre a ces raisons, pleines de sens et d’équité, lorsqu’un avocat célèbre, qui ne passe cependant pas pour être d’une humeur fort belliqueuse, jugea à propos d’essayer son éloquence à la tribune dans le genre patriotique et militaire. À l’aide de cette espèce de phrases dont parle Turgot, et dont il s’est fait en France une si prodigieuse consommation depuis cinquante ans, il établit que l’honneur de servir sous le drapeau français ne pouvait appartenir à des étrangers.
L’on eût pu répondre à l’avocat que l’honneur du drapeau français n’avait rien à démêler dans cette affaire ; qu’il s’agissait uniquement de savoir si ses compatriotes devaient se faire tuer chevaleresquement à la frontière pour défendre les étrangers dans leurs personnes et leurs propriétés, tandis qu’on n’imposait à ceux-ci, sous le rapport militaire, d’autre obligation que celle de patrouiller, dans la commune de leur résidence, pour arrêter les ivrognes, les filles perdues et les vagabonds ; que, si l’amendement proposé à la loi n’importait pas aux pères de famille français qui faisaient des officiers avec leurs (ils ou les exemptaient de la conscription avec de l’argent, il importait beaucoup aux pères de famille, également français, qui voyaient les leurs condamnés, bon gré, mal gré, au métier de simple soldat ; que, le service militaire étant une charge, on ne pouvait l’aggraver contrairement à la justice ; que le vrai patriotisme consistait à ménager et non à prodiguer le sang du peuple, et que le langage du représentant d’un pays constitutionnel ne devait pas ressembler à celui d’un préfet impérial.
La majorité de la Chambre trouva, au contraire, que l’avocat avait parlé d’or. La loi ne fut pas amendée, et les choses restèrent in statu quo, avec toutes les conséquences iniques que cet état entraîne. (E. D.)