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Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, II.djvu/136

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Aurait-on craint que la cotisation en argent pour fournir à l’engagement du milicien volontaire n’entraînât des abus, et qu’elle ne devînt trop onéreuse aux habitants de la campagne ? Cette crainte me paraît peu fondée. La contribution ne saurait jamais être trop onéreuse, quand elle sera parfaitement libre et volontaire. Il s’agit ici de choisir entre deux charges, ou si l’on veut entre deux maux : il semble qu’on peut s’en rapporter à ceux qui doivent supporter ces charges sur le choix de la moins onéreuse. À l’égard des abus dans la répartition de ces contributions en argent, rien ne sera si aisé que de les prévenir, lorsque les commissaires ou les subdélégués chargés du tirage seront autorisés à présider eux-mêmes à cette répartition.

J’ai quelquefois entendu dire que, si l’on tolérait les engagements, les milices pourraient être composées d’hommes errants et sans domicile, qu’on ne pourrait rassembler au besoin, et que les paroisses seraient obligées de remplacer par la voie du sort, après avoir inutilement dépensé beaucoup d’argent pour s’en exempter. Cette raison ne me paraît pas encore fort solide ; car on est le maître, en tolérant les engagements, de n’accepter que des hommes connus, domiciliés, et d’ailleurs propres au service ; on pourra même se rendre plus difficile sur la taille et la figure, que lorsqu’il s’agit d’admettre à tirer le sort. Ainsi, bien loin que la voie des engagements volontaires tende à rendre la composition des milices moins bonne et moins solide, il y a tout lieu de croire qu’on aurait, par cette voie, des hommes plus propres au service, et au moins aussi sûrs.

On a peut-être encore supposé qu’en tolérant les engagements, les habitants de la campagne se refuseraient toujours à la voie du sort, qu’on a regardée comme devant être le vrai fondement de la milice. — Je pourrais en premier lieu répondre qu’il n’y aurait pas grand mal à cela ; mais je dirai de plus que, bien loin que la facilité qu’on aurait à cet égard produisît l’effet qu’on craint, ce serait au contraire le meilleur moyen, et peut-être le seul, qui pût diminuer la répugnance que le peuple a dans certaines provinces pour le tirage de la milice. En effet, quand on laisse la liberté de se rédimer d’une charge par une contribution en argent, elle paraît dès lors moins onéreuse ; on s’accoutume à l’évaluer, et il n’est pas rare que l’amour de l’argent d’un côté, et de l’autre l’incertitude du