Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, II.djvu/347

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qu’elle s’en était promis, elle a cru devoir se hâter d’annoncer à ses sujets l’intention où elle est de les affranchir des règlements qui gênaient la vente et le débit de leurs bois.

    même, et les talents ne seraient plus exposés à se plaindre des rigueurs de la fortune.

    « Ces motifs, sans doute, feront impression sur le cœur paternel de Votre Majesté. Jusqu’à présent, nous n’avons parlé qu’au père du peuple ; il est un dernier motif que nous devons présenter au monarque. Ce motif est si puissant, que notre zèle pour le bien public (car Votre Majesté voudra bien être persuadée qu’il est plus d’un magistrat dans son royaume qui s’occupe du bonheur commun), notre amour et notre respect pour votre personne sacrée, ne nous permettent pas de le passer sous silence : c’est la manière dont on a voulu faire envisager à Votre Majesté les statuts et règlements des différents corps d’arts et métiers de son royaume. Dans l’édit qui vient d’être lu dans cette auguste séance, on présente ces statuts, ces règlements comme bizarres, tyranniques, contraires à l’humanité et aux bonnes mœurs ; il ne leur manquait, pour exciter l’indignation publique, que d’être connus. Cependant, sire, la plupart sont confirmés par des lettres-patentes des rois vos augustes prédécesseurs ; ils sont l’ouvrage de ceux qui s’y sont volontairement assujettis ; ils sont le fruit de l’expérience ; ce sont autant de digues élevées pour arrêter la fraude et prévenir la mauvaise foi. Les arts et métiers eux-mêmes n’existent que par les précautions salutaires que ces règlements ont introduites ; enfin, ce sont vos ancêtres, sire, qui ont forcé ces différents corps à se réunir en communautés ; ces érections ont été faites, non pas sur la demande des marchands, des artisans, des ouvriers, mais sur les supplications des habitants des villes que les arts ont enrichis : c’est Henri IV lui-même, ce roi qui sera toujours les délices des Français, ce roi qui n’était occupé que du bonheur de son peuple, ce roi que Votre Majesté a pris pour modèle ; oui, sire, c’est cette idole de la France, qui, sur l’avis des princes de son sang, des gens de son conseil d’État, des plus notables personnages et de ses principaux officiers, assemblés dans la ville de Rouen pour le bien de son royaume, a ordonné que chaque état serait divisé et classé sous l’inspection des jurés choisis par les membres de chaque communauté, et assujetti aux règlements particuliers à chaque corps de métier différent. Henri IV s’est déterminé à cette loi générale, non pas comme ses prédécesseurs, qui ne cherchaient qu’un secours momentané dans cette création, mais pour prévenir les effets de l’ignorance et de l’incapacité, pour arrêter les désordres, pour assurer la perception de ses droits et en faire usage à l’avenir suivant les circonstances : d’où il résulte que c’est le bien public qui a nécessité l’érection des maîtrises et des jurandes ; que c’est la nation elle-même qui a sollicité ces lois salutaires ; que Henri IV ne s’est rendu qu’au vœu général de son peuple ; et nous ne pouvons répéter sans une espèce de frémissement, qu’on a voulu faire envisager la sagesse de ce monarque, si bon et si chéri, comme ayant autorisé des lois bizarres, tyranniques, contraires à l’humanité et aux bonnes mœurs, et que cette assertion se trouvera dans une loi publique émanée de Votre Majesté.

    « Colbert pensait bien autrement. Ce Colbert, qui a changé la face de toute la France, qui a ranimé tout le commerce, qui l’a créé, pour ainsi dire, et lui a assuré la prépondérance sur toutes les autres nations ; Colbert, qui ne connaissait que la gloire et l’intérêt de son maître, qui n’avait d’autre vue que la grandeur et la puissance du peuple français ; ce génie créateur, qui ranima également l’agriculture et les arts ; ce ministre, enfin, fait pour servir, en cette partie, de modèle à tous ceux qui le suivront, fit ordonner que toutes personnes faisant trafic ou commerce en la ville de Paris seraient et demeureraient pour l’avenir érigées en corps de maîtrises et de jurandes.

    « Jamais prince n’a été plus chéri que Henri IV ; jamais la France n’a été plus florissante que sous Louis XIV ; jamais le commerce n’a été plus étendu, plus profitable que sous l’administration de Colbert ; c’est néanmoins l’ouvrage de Henri IV et de Louis XIV, de Sully et de Colbert, qu’on vous propose d’anéantir.