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Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, II.djvu/659

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pléer à l’ignorance de l’origine des empires, des arts, des coutumes ; il est fort aise d’en reconnaître la fausseté. Tout ce que les hommes inventent n’est assujetti qu’au vraisemblable, c’est-à-dire aux opinions du siècle où ce fait est inventé. Mais ce qu’ils racontent est assujetti au vrai, et ne peut jamais être contredit par des observations postérieures. De plus, avant l’écriture, les hommes n’avaient de monuments que des chansons et quelques pierres auprès desquelles les chansons étaient répétées. Il est clair que dans celles-ci on cherchait l’amusement et la gloire plus qu’on ne se souciait d’y éviter l’exagération. — Hérodote même est encore poëte. Ce n’est qu’après lui qu’on a senti la nécessité de dire vrai pour l’histoire.

Hérodote a écrit quatre cents ans après Homère, et cependant qu’est-ce qu’Hérodote ? Qu’était-ce donc que ces quatre cents ans ? Qu’était-ce que let emps d’Homère ? Comment la poésie était-elle montée si haut, quand l’histoire était demeurée si bas ? Hérodote est prodigieusement inférieur dans son genre à ce qu’Homère est dans le sien, et l’un des grands défauts d’Hérodote, c’est de ressembler trop à Homère, et de chercher partout à parer ses récits des ornements de la fable. Savoir que les hommes sont avides de merveilleux, avoir assez de génie pour l’employer avec énergie et avec grâce, et pour plaire généralement : voilà Homère. Il a fallu d’autres réflexions, et des progrès plus lents, pour deviner qu’il y a des occasions où ce merveilleux ne saurait plaire autant que la vérité toute nue ; que la curiosité des hommes pourrait trouver dans la certitude des objets un plaisir, un repos qui la dédommagerait avec avantage du nombre, de la variété, de la singularité des aventures ; enfin qu’un moyen de plaire mille fois éprouvé, pouvait n’être pas toujours sûr.

Ces réflexions, ces progrès étaient réservés à des temps postérieurs à Homère, et à plus de quatre cents ans après lui. Lorsque Hérodote écrivait, ces temps n’étaient pas encore arrivés. Souvent une chose qui demande moins de génie qu’une autre, exige plus de progrès dans la masse totale des hommes.

Les arts du dessin, la sculpture, la peinture, ont beaucoup de rapports avec la poésie dans les émotions qu’éprouve l’artiste, et dans celles qu’il veut communiquer. Ils ont eu une origine naturelle dans le désir de conserver des monuments historiques ou mythologiques ; et le génie s’y est exalté par le zèle ou patriotique ou religieux qui a voulu exprimer avec sentiment, avec profondeur, avec force, les idées et les souvenirs que ces monuments devaient rappeler.

Tous ces arts dépendent beaucoup de l’état différent des hommes, chasseurs, pasteurs ou laboureurs. Ces derniers ayant seuls pu avoir une population nombreuse, et ayant eu besoin pour diriger leur travail de plus de connaissances positives, ont dû nécessairement faire de beaucoup plus grands progrès.,

lis connaissances des hommes, qui toutes sont renfermées dans la sensation actuelle, sont de différentes espèces : les unes consistent dans de pures combinaisons d’idées, comme les mathématiques abstraites. D’autres s’attachent aux objets extérieurs, mais n’en prennent, pour ainsi parler, que la surface et leurs effets sur nous ; telle est la poésie, tels sont les arts de goût. D’autres enfin ont pour objet l’existence même des choses. Elles remontent des effets aux causes, des sens aux corps, du présent au passé, des corps visibles aux iu isibles, du monde à la Divinité. La croyance de l’existence des corps, et celle des objets passés que rappelle la mémoire, a de-