vancé le raisonnement. On n’a point douté sur la cause immédiate de nos sensations : les causes des mouvements des corps ont formé la physique ; et dans les premiers temps on a souvent confondu l’action des corps les uns sur les autres, avec celle de la Divinité.
Aristote, par un travail qui, quoique méprisé aujourd’hui, n’en est pas moins un des plus beaux efforts de l’esprit humain, Aristote sut porter l’analyse à sa perfection, en examinant la manière dont notre esprit passe d’une vérité connue à une inconnue : il sut en tirer les règles de l’art de raisonner, et en démontrant les effets d’une certaine combinaison d’idées, il prouva comment on pouvait s’assurer qu’une proposition était légitimement déduite d’une autre. — Il faut avouer que, dans le reste de sa philosophie, il n’a pu faire aucune analyse aussi parfaite, parce que l’énumération des idées n’était point aussi facile. Mais, quelque utile qu’on suppose son travail pour les conséquences, il ne pouvait servir à s’assurer des principes. Quoique Aristote eût avancé que toutes les idées venaient des sens, on fut très-longtemps sans chercher d’autres principes que les idées prétendues abstraites, sans remonter à leur origine. — Bacon fut le premier qui sentit la nécessité de rappeler à l’examen toutes ces notions. C’était beaucoup alors que d’y encourager les savants. On doit lui pardonner de n’y avoir procédé lui-même qu’avec timidité. Il semble un homme qui marche en tremblant dans un chemin rempli de ruines ; il doute, il tâtonne. — À sa suite, Galilée et Kepler jettent par leurs observations les vrais fondements de la philosophie. Mais ce fut Descartes qui, plus hardi, médita et fit une révolution. Le système des causes occasionnelles, l’idée de tout réduire à la matière et au mouvement, constituent l’esprit de ce vigoureux philosophe, et supposent une analyse d’idées dont les anciens n’avaient point donné d’exemple.
En secouant le joug de leur autorité, il ne s’est pas encore assez défié des premières connaissances qu’il avait reçues d’eux. On est étonné qu’un homme qui avait osé douter de tout ce qu’il avait appris, n’ait pas cherché à suivre le progrès de ses nouvelles lumières depuis ses premières sensations. — On dirait qu’il a été effrayé de cette solitude où il s’était mis, et qu’il n’a pu la soutenir. Il se rejette tout aussitôt dans les idées dont il avait su se dépouiller. Il réalise, comme les anciens, de pures abstractions ; il regarde ses idées comme des réalités. Il imagine pour elles des causes proportionnées à leur étendue. Il est entraîné par ses anciens préjugés, lorsqu’il les combat. — Si je n’étais retenu par le respect et la reconnaissance dus à un si grand homme, je le comparerais à Samson qui, en renversant le temple de Dagon, est écrasé sous ses débris.
Ses sectateurs attribuèrent nos erreurs aux illusions des sens, et leur zèle exagéré contre les sens produisit un bien. En voulant développer la manière dont ils nous trompent, on apprit à analyser la manière dont ils nous rapportent les objets extérieurs. — Locke parvint à pousser beaucoup plus loin cette analyse. Berkeley et Condillac l’ont suivi. — Ils sont tous des enfants de Descartes.
Descartes a envisagé la nature comme un homme qui, plongeant sur elle un vaste coup d’œil, l’embrasse tout entière, et en fait pour ainsi dire le plan à vue d’oiseau.
Newton l’a examinée plus en détail. Il a décrit le pays que l’autre avait découvert. On a pris à tâche d’immoler la réputation de Descartes à celle de Newton.