danterie, le mépris pour les gens Se lettres, la bizarrerie du goût des princes, la tyrannie et l’anarchie, peuvent le corrompre.
Il n’en est pas de même des sciences spéculatives. Tant que la langue dans laquelle les livres sont écrits subsiste, et qu’il s’y conserve un certain nombre de gens de lettres, on n’oublie point ce que l’on a su. On ne perfectionne point alors les sciences, il est vrai, parce qu’il y a peu d’hommes et par conséquent peu de génies qui s’y appliquent ; mais on ne les perd pas entièrement[1]. Aussi les rhéteurs grecs qui passèrent en Italie après la prise de Constantinople, savaient-ils tout ce qu’on avait su dans l’ancienne Grèce. Il ne leur manquait que le goût et la critique. Ils n’étaient que savants.
L’inondation des barbares en Occident fut plus funeste. En détruisant la langue latine, ils firent perdre la connaissance des livres écrits en cette langue. Nous ne les aurions plus, si les moines n’en eussent conservé une partie.
Les arts subsistèrent malgré cette calamité générale. Il faut pour les abattre des coups encore plus violents. Il n’y a que les Turcs qui, dans la férocité de leurs conquêtes, aient pu les faire reculer : ce qu’il faut moins attribuer à leur religion, qui n’a pas empêché les Maures d’Espagne d’être très-éclairés pour leur temps, qu’à la nature de leur despotisme dont nous avons parlé plus haut, et à la séparation entière des nations soumises à leur empire, séparation qui entretient dans l’État une guerre de haine, une balance d’oppression et de révolte. Élevés dans les harems, séjour de la mollesse et d’une autorité à la fois ignorante et absolue, qui ne peut que dégénérer en cruauté habituelle, les Turcs n’ont aucune industrie et ne connaissent que la violence. Les Grecs, courbés sous le joug le plus dur, la redoutent toujours. Les Turcs amollis, les Grecs opprimés, incertains les uns et les autres de leur état, de leurs biens, de leur vie, ne peuvent songer à rendre plus douce une existence si agitée et si peu à eux. Point d’arts par conséquent, si ce n’est ceux qui sont absolument indispensables ; et, parmi les autres, le peu que le sérail en a conservés est réduit à une mécanique sans goût.
L’invention de l’imprimerie a non-seulement répandu la connaissance des livres, mais encore celle des arts modernes, et elle les a beaucoup perfectionnés. Avant elle, une multitude de pratiques admirables, que la tradition seule transmettait d’un ouvrier à l’autre, n’excitaient point la curiosité des philosophes. Quand l’impression en eut facilité la communication, on commença à les décrire pour l’utilité des ouvriers. Par là les gens de lettres connurent mille manœuvres ingénieuses qu’ils ignoraient, et ils se virent conduits à une infinité de notions pleines d’intérêt pour la physique. Ce fut comme un nouveau monde, où tout piquait leur curiosité. De là naquit le goût de la physique expérimentale, où l’on n’aurait jamais pu faire de grands progrès sans le secours des inventions et des procédés de la mécanique[2]…….
- ↑ Les révolutions qui font tomber l’éloquence et le goût des beaux-arts, sans effacer le souvenir et quelque culture des sciences, sont comme les incendies qui ravagent quelquefois les forêts. On voit encore quelques troncs informes demeurer sur pied, mais dépouillés de leurs branches et de leurs feuilles, sans fleurs et sans parure. (Note de l’auteur.)
- ↑ Il ne paraît pas que cet ouvrage ait jamais été achevé. M. Turgot ne le regardait que comme une ébauche. Mais quoiqu’il n’y ait pas mis la dernière main, et qu’il eut peut-être, dans ce cas, resserré une partie des observations métaphysiques, fines et profondes, qui s’y trouvent mêlées aux vues historiques, on n’a pas cru devoir supprimer ou mutiler un essai qui contient un si grand nombre de vérités philosophiques, dont l’expression est toujours pleine d’élégance. (Note de Dupont de Nemours.)