ne sont point des flambeaux qui brillent par eux-mêmes, ce sont des diamants qui réfléchissent avec éclat une lumière empruntée, mais qui, dans une obscurité profonde, resteraient confondus avec les pierres les plus viles. Ces esprits ont besoin de venir les derniers.
Il ne faut pas croire que, dans les temps d’affaiblissement et de décadence, ni même dans ceux de barbarie et d’obscurité qui succèdent quelquefois aux siècles les plus brillants, l’esprit humain ne fasse aucun progrès. Les arts mécaniques, le commerce, les usages de la vie civile, font naître une foule de réflexions qui se répandent parmi les hommes, qui se mêlent à l’éducation, et dont la masse grossit toujours en passant de génération à génération. Ils préparent lentement, mais utilement et avec certitude, des temps plus heureux : semblables à ces rivières qui se cachent sous terre pendant une partie de leur cours, mais qui reparaissent plus loin, grossies d’une grande quantité d’eaux qui se sont filtrées de toutes les parties du sol que le courant déterminé par la pente naturelle a traversé sans se montrer.
Les arts mécaniques n’ont jamais souffert la même éclipse que les lettres et les sciences spéculatives. — Un art une fois inventé devient un objet de commerce qui se soutient par lui-même. Il n’est point à craindre que l’art de faire du velours se perde tant qu’il se trouvera des gens pour en acheter. Les arts mécaniques subsistent donc dans la chute des lettres et du goût, et s’ils subsistent, ils se perfectionnent. — Un art quelconque ne peut être cultivé durant une longue suite de siècles sans passer entre les mains de quelques esprits inventifs. — Aussi voyons-nous que, malgré l’ignorance qui a régné en Europe et dans l’empire grec depuis le cinquième siècle, les arts ont été enrichis de mille découvertes nouvelles, sans qu’aucune un peu importante ait été perdue.
La marine s’est perfectionnée, et aussi l’art du commerce. On doit à ces siècles l’usage habituel des lettres de change, la science de la tenue des livres commerciaux, qui est la forme la plus parfaite de comptabilité, le papier de coton inventé à Constantinople, celui de chiffon en Occident, le verre à vitres, les grandes glaces et l’art d’en faire des miroirs, les lunettes, la boussole, la poudre à canon, les moulins à vent et à eau, les horloges, et une infinité d’autres arts ignorés de l’antiquité.
L’architecture nous donne un exemple de l’indépendance réciproque du goût et des manœuvres mécaniques dans les arts, il n’y a point d’édifices de plus mauvais goût que les bâtiments gothiques, et il n’y en a point de plus hardis, ni dont la construction ait demandé plus d’activité et de lumières pratiques dans les moyens d’exécution, quoique ces moyens ne pussent être que la suite d’une multitude de tâtonnements, puisque les sciences mathématiques étaient alors dans l’enfance, et que les poussées des voûtes et des combles ne pouvaient être calculées avec précision.
Il fallait que, ces arts fussent cultivés et perfectionnés pour que la véritable physique et la haute philosophie pussent naître. Ils ont mis à portée de faire des expériences exactes et démonstratives. Sans l’invention des lunettes, on n’aurait jamais pu calculer les causes des mouvements des astres. Sans celle des pompes aspirantes, on n’aurait jamais découvert la pesanteur de l’air.
Gardons-nous donc de confondre le succès dans les arts mécaniques avec le goût des arts, et même avec les sciences spéculatives.
Le goût des arts peut se perdre par une multitude de causes purement morales. Un esprit de langueur et de mollesse répandu sur une nation, la pé-