en voulant l’expliquer par le système spéculatif d’une prémotion physique, système suivant lequel Dieu lui-même imprimerait à la volonté le mouvement qui la domine. D’autres écoles s’élevèrent, et se firent un point d’honneur de contredire en tout les thomistes ; le système de la prémotion fut surtout combattu. On reprochait à ses défenseurs d’introduire le fatalisme ; de rendre Dieu auteur du péché, de le représenter comme un tyran qui, après avoir défendu le crime à l’homme, le nécessite à devenir coupable et le punit de l’avoir été. — Les thomistes, à leur tour, reprochaient à leurs adversaires de transporter à la créature une puissance qui n’appartient qu’à Dieu, et de renouveler les erreurs de Pelage, en anéantissant le pouvoir de la grâce et en faisant l’homme auteur de son salut.
Malgré l’aigreur de ces imputations réciproques et l’animosité qu’elles devaient inspirer, un concours heureux de circonstances en modéra les effets. Les deux opinions opposées avaient partagé les universités, et chaque parti avait à sa tête deux ordres rivaux, tous deux puissants, tous deux recommandables par une égale réputation de science et de piété, tous deux également chers au siège de Rome par le zèle infatigable avec lequel ils s’étaient voués à étendre son autorité. Les papes avaient un trop grand intérêt à conserver ces deux appuis de leur puissance, pour faire pencher la balance en faveur de l’un des deux contre l’autre. Ainsi les franciscains n’eurent jamais assez de crédit pour faire condamner les opinions des dominicains ; et, malgré la vénération qu’on avait pour les écrits de saint Thomas d’Aquin, jamais les dominicains ne purent empêcher ses adversaires de soutenir librement la doctrine de Scot. Les deux systèmes furent regardés comme de simples opinions abandonnées à la dispute et dans lesquelles la foi n’était point intéressée. Dès lors, la chaleur qu’elles excitaient ne pouvait sortir de l’enceinte des écoles où elles étaient nées. Comment en effet le peuple pourrait-il s’échauffer pour des questions métaphysiques qui lui sont indifférentes, et sur lesquelles ceux qui s’en occupent ne peuvent tenter de lui faire prendre un avis qu’en discutant le fond même de la question, qu’il n’entend ni ne prétend entendre ? Pour parvenir à l’émouvoir, il faut lui faire voir dans la question autre chose que la question même, l’indigner contre la révolte à l’autorité qu’il respecte ou contre la rigueur d’une persécution injuste ; il faut pouvoir lui persuader qu’il s’agit de l’essence même de la religion, et que les fondements de la foi sont ébranlés ; il faut pouvoir faire retentir à son oreille les noms d’hérétique et d’ennemi de l’Église. Un théologien, obligé d’avouer que l’opinion qu’il combat n’est que fausse, et non pas criminelle, n’a plus aucun moyen pour rendre ses adversaires odieux ; aussi, jamais question sur laquelle l’autorité a laissé soutenir librement le pour et le contre n’a-t-elle occasionné et n’occasionnera-t-elle aucun trouble. Les dominicains et les franciscains disputèrent donc, et le peuple ne le sut même pas. Le dogme de la liberté continua d’être la base de l’enseignement populaire, toujours dirigé du côté moral et pratique.
Luther et Calvin parurent : ces nouveaux réformateurs, ardents à chercher des contrariétés entre la croyance de l’Église catholique et la doctrine des premiers siècles du christianisme, prétendirent embrasser les principes que saint Augustin avait développés contre les pélagiens, et allèrent beaucoup au delà. Les disciples de Luther revinrent bientôt à des principes plus doux ; et même une partie des calvinistes, quoique un peu plus tard, abandonnèrent, sous le nom d’arminiens, la doctrine de leur maître pour prendre