d’entendre répéter les mêmes sons dans des circonstances à peu près semblables ; elle s’établit dans l’esprit des peuplas sans qu’ils y pensent ; elle peut s’effacer par l’effet d’une autre habitude qui se formera aussi sourdement et par les mêmes moyens. Les circonstances dont la répétition a déterminé dans l’esprit de chaque individu le sens d’un mot, ne sont jamais exactement les mêmes pour deux hommes ; elles sont encore plus différentes pour deux générations. Ainsi, à considérer une langue indépendamment de ses rapports avec les autres langues, elle a dans elle-même un principe de variation. La prononciation s’altère en passant des pères aux enfants ; les acceptions des termes se multiplient, se remplacent les unes les autres ; de nouvelles idées viennent accroître les richesses de l’esprit humain ; on détourne la signification primitive des mots par des métaphores ; on la fixe à certains points de vue particuliers, par des inflexions grammaticales ; on réunit plusieurs mots anciens pour exprimer les nouvelles combinaisons d’idées. Ces sortes de mots n’entrent pas toujours dans l’usage ordinaire : pour les comprendre, il est nécessaire de les analyser, de remonter des composés ou dérivés aux mots simples ou radicaux, et des acceptions métaphoriques au sens primitif. Les Grecs qui ne connaissaient guère que leur langue, et dont la langue, par l’abondance de ses inflexions grammaticales et par sa facilité à composer des mots, se prêtait à tous les besoins de leur génie, se livrèrent de bonne heure à ce genre de recherches, et lui donnèrent le nom d’étymologie, c’est-à-dire connaissance du vrai sens des mots ; car ἕτυμον τἡς λεξἑως signifie le vrai sens d’un mot, d’ἕτυμον vrai.
Lorsque les Latins étudièrent leur langue à l’exemple des Grecs, ils s’aperçurent bientôt qu’ils la devaient presque tout entière à ceux-ci. Le travail ne se borna plus à analyser les mots d’une seule langue, à remonter du dérivé à sa racine, on apprit à chercher les origines de sa langue dans des langues plus anciennes, à décomposer non plus les mots, mais les langues : on les vit se succéder et se mêler, comme les peuples qui les parlent. Les recherches s’étendirent dans un champ immense ; mais, quoiqu’elles devinssent indifférentes pour la connaissance du vrai sens des mots, on garda l’ancien nom d’étymologie. Aujourd’hui les savants donnent ce nom à toutes les recherches sur l’origine des mots ; c’est en ce sens que nous l’emploierons dans cet article.
L’histoire nous a transmis quelques étymologies, comme celles des noms des villes ou des lieux auxquels les fondateurs ou les navigateurs ont donné, soit leur propre nom, soit quelque autre, relatif aux circonstances de la fondation ou de la découverte. — À la réserve du petit nombre d’étymologies de ce genre, qu’on peut regarder comme certaines, et dont la certitude purement testimoniale ne dépend pas des règles de l’art étymologique, l’origine d’un mot est en général un fait à deviner, un fait ignoré, auquel on ne peut arriver que par des conjectures, en partant de quelques faits connus. Le mot est donné : il faut chercher dans l’immense variété des langues les différents mots dont il peut tirer son origine. La ressemblance du son, l’analogie du sens, l’histoire des peuples qui ont successivement occupé la même contrée, ou qui y ont entretenu un grand commerce, sont les premières lueurs qu’on suit : on trouve enfin un mot assez semblable à celui dont on cherche l’étymologie. Ce n’est encore qu’une supposition, qui peut être vraie ou fausse : pour s’assurer de la vérité, on examine plus attentivement cette ressemblance ; on suit les altérations graduelles qui ont conduit successivement du