primitif au dérivé ; on pèse le plus ou le moins de facilité du changement de certaines lettres en d’autres ; on discute les rapports entre les concepts de l’esprit et les analogies délicates qui ont pu guider les hommes dans l’application d’un même son à des idées très-différentes ; on compare le mot à toutes les circonstances de l’énigme : souvent il ne soutient pas cette épreuve, et on en cherche une autre. Quelquefois (et c’est la pierre de touche des étymologies, comme de toutes les vérités de fait), toutes les circonstances s’accordent parfaitement avec la supposition qu’on a faite ; l’accord de chacune en particulier forme une probabilité ; cette probabilité augmente dans une progression rapide, à mesure qu’il s’y joint de nouvelles vraisemblances ; et bientôt, par l’appui mutuel que celles-ci se prêtent, la supposition n’en est plus une, et acquiert la certitude d’un fait. — La force de chaque ressemblance en particulier, et leur réunion, sont donc l’unique principe de la certitude des étymologies, comme de tout autre fait, et le fondement de la distinction entre les étymologies possibles, probables et certaines.
Il suit de là que l’art étymologique est, comme tout art conjectural, composé de deux parties, l’art de former les conjectures ou les suppositions, et l’art de les vérifier, ou en d’autres termes l’invention et la critique : les sources de la première, les règles de la seconde, sont les divisions naturelles de cet article, car nous n’y comprendrons point les recherches qu’on peut faire sur les causes primitives de l’institution des mots, sur l’origine et les progrès du langage, sur les rapports des mots avec l’organe qui les prononce et les idées qu’ils expriment. — La connaissance philosophique des langues est une science très-vaste, une mine riche de vérités nouvelles et intéressantes. Les étymologies ne sont que des faits particuliers sur lesquels elle appuie quelquefois des principes généraux ; ceux-ci, à la vérité, rendent à leur tour la recherche des étymologies plus facile et plus sûre ; mais, s’il s’agissait de présenter ici tout ce qui peut fournir aux étymologistes des conjectures ou des moyens de les vérifier, il faudrait y traiter de toutes les sciences. Nous renvoyons donc sur ces matières aux articles Grammaire, Interjection, Langue, Analogie, Mélange, Origine et analyse des langues, Métaphore, Onomatopée, Signe, etc[1]. Nous ajouterons seulement, sur l’utilité des recherches étymologiques, quelques réflexions propres à désabuser du mépris que quelques personnes affectent pour ce genre d’études.
En matière d’étymologie, comme en toute autre matière, l’invention n’a point de règles bien déterminées.
Dans les recherches où les objets se présentent à nous, où il ne faut que regarder et voir, dans celles aussi qu’on peut soumettre à la rigueur des démonstrations, il est possible de prescrire à l’esprit une marche invariable qui le mène sûrement à la vérité ; mais, toutes les fois qu’on ne s’en tient pas à observer simplement ou à déduire des conséquences de principes connus, il faut deviner, c’est-à-dire qu’il faut, dans le champ immense des suppositions possibles, en saisir une au hasard, puis une seconde, et plusieurs successivement, jusqu’à ce qu’on ait rencontré l’unique vraie. C’est ce qui serait impossible, si la gradation qui se trouve dans la liaison de tous les êtres,
- ↑ Turgot se proposait de rédiger ces divers articles, mais il laissa ce projet sans exécution. — Voyez tome Ier, note de la page 291.