Page:Twain - Le prince et le pauvre, trad Largilière, 1883.djvu/102

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monstre comme toi. Donc passe ton chemin, détale au plus vite, car je n’aime pas qu’on barguigne, n’étant point patient de ma nature.

John Canty s’éloigna en montrant le poing et en accablant le roi et son sauveur d’affreuses malédictions. Un instant après, il était entraîné par le tourbillon des passants.

Hendon descendit trois marches et se trouva avec son protégé dans sa chambre, où il commanda à souper. C’était une petite pièce, pauvre et délabrée, n’ayant pour tout mobilier qu’une misérable couchette, une vieille table et quelques chaises branlantes ou boiteuses.

Le roi se traîna jusqu’au lit et se laissa tomber sur le grossier matelas, épuisé de fatigue et de faim. Il était sur pied depuis le matin ; il avait été battu plusieurs fois ; il avait subi les plus cruelles émotions, les plus terribles angoisses, et, maintenant que la nuit était close, il se sentait d’atroces tiraillements d’estomac, car il n’avait rien mangé depuis sa sortie du palais.

Les yeux appesantis, il succombait au sommeil.

— Éveillez-moi, je vous prie, dit-il, quand la nappe sera mise.

Et il s’endormit en achevant ces paroles.

Un sourire éclaircit le front de Hendon. Il se dit :

— Par la messe, le petit mendiant prend ses quartiers en maître ; il usurpe mon lit avec une naïveté et un sans-gêne qui feraient croire qu’il commande ici. Il s’installe, s’étend et s’endort, sans même dire s’il vous plaît ni avec votre permission. Sous ses haillons sordides il a des airs charmants, et quand il soutenait qu’il était le prince de Galles, il était si fier que c’était à croire qu’il