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UNE VIE BIEN REMPLIE

l’hommage des républicains socialistes irréductibles, car il avait payé de quarante années de prison son amour à ses principes : « Ni Dieu, ni maître. »

XX


En 1883, je quittai le travail manuel pour être représentant de fabriques. Ne connaissant rien au commerce, les débuts furent très durs, d’autant plus que je n’avais que des maisons de troisième ordre. Enfin, quelques années après, je travaillai pour des fabriques de premier ordre (soieries et lainages) de Lyon, de Suisse, d’Allemagne. J’étais content, l’aisance était venue.

Il faut avoir passé une partie de sa vie dans les ateliers, où à chaque instant on craint d’être renvoyé, soit pour manque de travail, soit pour une demande d’augmentation de salaire (souvent le travail est toujours le même, c’est-à-dire monotone) pour sentir toute la satisfaction qu’il y a à discuter de gré à gré avec les acheteurs, dont les uns sont des personnages importants par leur situation commerciale.

Je ne faisais des affaires qu’avec le Sud-Amérique, et cette même satisfaction se retrouvait dans la correspondance échangée avec les fabricants, les félicitations d’avoir fait de bonnes ventes ou fait fabriquer des articles nouveaux qui recevaient bon accueil des acheteurs ; enfin le bonheur régnait dans mon intérieur : une femme partageant mes goûts, s’occupant de l’éducation des enfants, qui étaient comme leur mère, bons et justes.

Je ne veux pas dire pourtant que le métier de représentant soit une sinécure, loin de là : les relations sont souvent difficiles et longues à établir, les acheteurs sont tellement sollicités et même flagornés qu’ils se croient des dieux, tout comme les romanciers, il faut être à leur disposition, eux ne sont jamais à la vôtre ; mais, avec le temps et la