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UNE VIE BIEN REMPLIE

En 1830, il avait trente ans. Avec sa jeune femme il exploitait son propre bien d’environ douze hectares de bonnes terres, propres à la culture du blé et des foins, sans oublier les nombreux pommiers, poiriers et noyers qui, dans les années d’abondance, était en cidre et en huile de noix une petite fortune pour son propriétaire. Il était de ceux qui, peu nombreux à cette époque, savaient lire et écrire, c’est à cela et aussi à ses manières affables et douces qu’il devait d’être appelé monsieur, autrement il eût été appelé comme tous les paysans de la contrée, par son nom tout court, c’est-à-dire Brigalot dans sa jeunesse et, plus tard, quand il aurait eu des enfants, c’aurait été le père Brigalot.

Sa maison, isolée comme sa propriété, s’appelait les Ruches-en-Loiret, canton de Châteaurenard ; il l’habitait avec sa jeune épouse, qui dirigeait bien son intérieur ; elle aimait son mari autant qu’elle en était aimée.

Deux domestiques, l’homme et la femme, faisaient le travail de la ferme ; on cuisait le pain tous les huit jours. Une remarque à faire à ce sujet et qui faisait parler en bien de ce paysan une lieue à la ronde, ce qui était beaucoup à cette époque pour un hameau isolé et éloigné du village, c’est qu’il était le seul dans la contrée faisant son pain avec de la farine de pur froment, tandis que les autres y mélangeaient une bonne partie de farine de seigle ou d’orge, et ne cuisaient que tous les dix ou quinze jours, de sorte que ce pain était moisi et aussi mauvais au goût qu’indigeste, alors que le sien était bon.

Quand décembre venait avec ses longues veillées, on teillait le chanvre, car à cette époque chaque propriétaire de ce pays cultivait le chanvre. C’était beau au moment où il venait à graines, de voir les nuées de petits chardonnerets venir en gazouillant s’abattre sur les tiges en graines ; depuis la disparition des chenevières ces charmants oiseaux ont à peu près disparu. Pendant ces veillées, on cassait aussi les noix, à cette occasion les voisins les plus proches étaient invités à venir casser et trier, cela donnait aux jeunes filles et garçons l’occasion de se voir ; la maîtresse, à ces soirées, offrait le pain grillé avec du cidre sucré chaud ou des galettes faites avec l’écume de beurre fondu.

Aucune de ces réunions ne se passait sans qu’il y soit