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UNE VIE BIEN REMPLIE

parlé du diable ou des revenants ; les hommes riaient, disant que le diable c’était de ne pas avoir d’argent, que ceux qui n’avaient pas peur ne le voyaient jamais, etc. ; mais les femmes en parlaient en tremblant et souvent en se signant, et rapportaient que partout où il y avait eu des seigneurs, soit dans la cour de leurs châteaux, aujourd’hui démolis, ou dans les bois environnant, il se trouvait des trésors cachés, que le diable seul pouvait faire découvrir ; mais pour cela il fallait, la nuit, faire un pacte avec lui ; cela n’était pas sans impressionner vivement les gens simples, sans aucune culture intellectuelle.

À une de ces soirées, un casseur de noix, un sabotier qui était embauché depuis six mois dans le village voisin, ayant dit qu’il n’était pas besoin de faire un pacte avec le diable pour découvrir un trésor, mais en raison que ces trésors étaient un bien mal acquis, puisque les seigneurs avaient volé cela aux pauvres paysans, c’était le diable qui en avait la garde, et que l’imprudent qui le découvrait était tué sur le coup ou mourait dans l’année. À cela, M. Brigalot, qui n’était ni croyant ni peureux, répondit que s’il savait où se trouve un trésor, ce ne seraient ni Dieu ni diable qui l’empêcheraient de le prendre.

Alors comme aujourd’hui il y avait des chevaliers d’industrie ; ce cheminot avait l’étoffe d’un de ces voleurs que l’on nomme maintenant voleur à l’américaine ; il venait souvent à la ferme, où il était presque toujours retenu à dîner ; comme il savait lire et écrire, le patron était heureux de l’avoir en sa société pour causer ; il avait fait son tour de France et avait vu beaucoup plus de choses que le fermier, qui, pour être intelligent, avait autant de naïveté que de bonté.

Ce sabotier sut si bien jouer son rôle, disant que s’il était venu dans le village ce n’était pas pour gagner les douze francs par mois que son patron lui donnait plus la nourriture, mais que c’était pour rechercher, d’après des papiers qui lui venaient de sa famille, l’endroit où devait se trouver un trésor caché par les anciens seigneurs de Couffraut ; il fit si bien qu’après des fouilles faites en commun dans le coin du bois où il avait eu soin d’enfouir quelques sous de cuivre à l’effigie de Louis XVI, qu’il se fit donner trente