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UNE VIE BIEN REMPLIE

l’ai tué sans le vouloir, j’en ai toujours eu regret ; enfin j’ai payé ma faute par la prison ; à mon retour tous les gens de par ici m’ont tendu la main, excepté vous, Monsieur le Curé, qui détourniez la tête pour ne pas répondre à mon salut ; vous, l’homme qui représentez l’Église ; rien que cela me ferait m’en éloigner.

Je n’ai pas été à votre église, ce n’est pas pour y aller quand je serai mort ; vous avez crié en chaire contre moi, tandis que moi je n’ai jamais dit de mal de ceux qui vont à la messe ; ma femme a désiré être enterrée à l’église, j’ai respecté sa volonté ; vous me dites que Dieu me condamnera à souffrir éternellement ; je n’y crois pas. Si c’était vrai, il serait plus méchant que les hommes. Allez, Monsieur le Curé, je vous remercie de vos prières ; je vous souhaite longue vie et bonne santé ; je souhaite aussi que vous ne disiez pas, quand vous prêchez, des choses qui mettent la désunion dans les ménages. Adieu, Monsieur le Curé.

Après le départ du curé, le malade dit à son fils qu’il voulait, avant de s’en aller, faire une bonne action en donnant une somme d’argent au Parisien, s’il avait son approbation. Le fils répondit que d’abord il était le seul maître et qu’en tous cas ce qu’il ferait serait bien fait. Quelle somme avons-nous à la maison en ce moment, dit le mourant. Environ 1.500 francs, répondit son fils, et aucune dépense à faire avant la vendange. Bien répondit Brigalot, c’est plus qu’il n’en faut pour ce que je veux faire ; envoie chercher le Parisien.

Le Parisien était un homme de 27 ans. Enfant trouvé, il avait été élevé par les soins de l’Assistance publique, qui l’avait placé, à l’âge de 14 ans, chez le maître-maçon du village pour quatre années, il devait lui apprendre à travailler, le nourrir et l’entretenir sans aucun salaire. À 18 ans, il était devenu un bon ouvrier maçon ; le patron le payait alors 30 francs par mois ; il resta à ce prix jusqu’à son départ pour le service militaire.

C’était un ouvrier remarquable, capable de monter un mur, de faire le travail fin de l’intérieur, planchers, moulures, etc., mais encore de toiser le travail fait et d’évaluer la quantité de matériaux à employer pour faire un travail déterminé ; il avait été apprécié de tous ceux chez qui il