Page:Une Vie bien remplie (A. Corsin,1913).djvu/147

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
143
UNE VIE BIEN REMPLIE

avait été employé pour le compte de son patron ; avec cela franc, loyal, sobre et travailleur.

Avant son départ pour l’armée, il avait fait connaissance d’une jeune fille, Raymonde, orpheline, employée chez un mercier à tout travail, vente, couture, neuf, réparations ; ils s’étaient aimés et jurés de se marier sitôt le service militaire fini. Deux fois il était venu en congé et le serment avait été renouvelé.

En mai 1871, il revint de l’armée. Ce n’était plus le beau jeune homme à la figure rose ; il avait été blessé d’un coup de lance qui lui avait labouré le visage depuis le menton jusqu’à la tempe sans avoir touché les os. Cette blessure avait ridé la peau et l’avait vieilli. En jeune homme de caractère, il offrit à sa fiancée de reprendre sa parole, sa blessure le rendant laid ; la jeune fille, qui avait comme lui le cœur haut placé, lui répondit qu’elle l’aimait toujours autant qu’avant et qu’elle voulait être sa femme ; alors le mariage eut lieu, les petites économies de la jeune fille passèrent à acheter le nécessaire pour se mettre en ménage. Le Parisien reprit son travail chez son ancien patron, toujours au même salaire, 30 francs nourri ou 80 francs par mois non nourri, disant ne pouvoir payer davantage ; que du reste ses enfants avaient grandi, qu’ils étaient maintenant ses ouvriers et qu’il l’embauchait pour lui faire plaisir.

Ce jeune homme aimait le village, où il n’avait que des sympathies ; il avait dit à plusieurs personnes qu’il serait obligé d’aller Paris, ne pouvant pas vivre lui et sa femme avec moins de 3 francs par jour ; plusieurs lui avaient répondu, il y a beaucoup de travail dans le pays ; pourquoi ne vous établissez-vous pas à votre compte. Il avait répondu qu’avec un salaire si petit il ne pourrait jamais amasser le billet de mille francs qu’il lui faudrait pour cela faire ; récemment, il avait travaillé pour M. Brigalot et les mêmes choses avaient été dites.

Quand cet ouvrier entra dans la chambre du malade avec son fils, le vieillard lui dit : Mon ami, comme on dit ici, parlons peu, mais parlons bien ; vous êtes un brave garçon et votre femme une digne épouse ; vous êtes aimés dans le pays, je veux vous aider à vous établir. Combien vous faut il ? Il