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Page:Une Vie bien remplie (A. Corsin,1913).djvu/148

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UNE VIE BIEN REMPLIE

répondit : dame, il me faudrait mille francs, que je m’engagerais à rendre dans deux ans en payant les intérêts de 5 0/0. Bien, mon ami, répondit Brigalot, et à son fils il dit : Prends 1.000 francs dans l’armoire et remets-les aux mains de ce brave jeune homme, puis il ajouta : Monsieur le Parisien, je ne vous prête pas, je vous donne cet argent, d’accord avec mon fils ; donc pas de reçu. J’ai la joie de penser que vous en ferez bon usage, que vous penserez quelquefois au père Brigalot et que vous direz : c’était un bon homme. Ne protestez pas, je ne peux parler beaucoup, ni entendre parler ; emportez l’argent et allez retrouver votre femme, il y aura ce soir deux heureux dans votre maison et ici également, mon fils et moi.

Le Parisien, surpris, ne pouvant croire ce qui lui arrivait, embrassa les deux hommes et quitta la maison en causant tout seul comme s’il eut été un peu fou.

Tel fut le dernier acte sublime, on pourrait dire, de cet honnête et brave homme, qui mourut le lendemain de cette bonne action.

Prononcée par deux assistants, son oraison funèbre fut courte autant que sincère.

Le premier qui parla dit : Celui que nous accompagnons ici était le meilleur des hommes ; c’est un vrai ami que nous perdons.

Le deuxième qui parla dit : Oui, c’est vrai, c’était un bon homme, juste, aimant les gens et les bêtes ; on disait en parlant de lui : c’est le bon pain.

Cet homme méritait ces éloges posthumes. Etant enfant, quand je le rencontrais par les chemins, il me disait de bonnes paroles, comme : apprends bien à lire et écrire, mon petit, aime bien tes parents, sois honnête comme eux, ne sois pas méchant ; il disait à son chien quand je le caressais c’est un ami, donne lui la patte.

Nous étions à la gare ; l’arrivée du train mit fin à nos réflexions sur les bonnes journées que nous venions de passer ; on se quitta en se promettant de se revoir ou, en tous cas, de s’écrire souvent.

Deux années ont passé, pendant lesquelles de courtes lettres d’amitié furent échangées ; en voici une plus longue de Cadoret à son ami Savinien.