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UNE VIE BIEN REMPLIE

XXXI


Nice, décembre 1910.


Mon cher ami,


J’ai bien reçu ta dernière bonne lettre qui m’a causé tant de plaisir. J’ai quitté Cannes le mois dernier, non pas que je ne m’y plaisais plus, au contraire ; c’est à mon sens la plus jolie ville du littoral méditerrannéen ; c’est le séjour des gens riches et tranquilles.

Si je suis allé à Nice, quoique cela me plaît moins à cause qu’il y pleut souvent et que le vent y fait rage également, c’est pour avoir un peu plus de distraction, voir plus de monde ; à Nice aussi, ce ne sont pas les théâtres ou casinos qui font défaut.

J’ai besoin d’un peu de mouvement, de changement, pour guérir ma maudite maladie d’emphysème, qui me tient depuis si longtemps. Pour ne pas tomber dans des idées noires, enfin la maladie à la mode, la neurasthénie ; j’occupe un modeste pavillon bien au soleil, près de la gare du sud, boulevard Garnier 77 bis. S’il te fait plaisir de venir ici, il y a une chambre à ta disposition.

Ces jours derniers, j’ai été en excursion à Levens (25 kilomètres). C’est un petit pays perché sur un rocher, dont le sommet ressemble à un pain de sucre ayant le bout coupé ; aujourd’hui, dans le bas, il se construit sur la route, des maisons plus gaies, plus logeables, car les anciennes du vieux village sont de véritables toits à lapins. Comme culture, on ne voit aux alentours que quelques souches de vignes, des figuiers, de maigres oliviers ; on se demande comment peuvent vivre les habitants de ce pays, et cependant autrefois, là où se trouvait une agglomération, si petite soit-elle, il y avait un seigneur. Comme tu le vois, partout on aperçoit un coin de la question sociale.

À Levens il y avait, au XVIIe siècle, un seigneur dont on voit encore les ruines de sa demeure. À cette époque, les habitants mécontents, lui dirent de choisir : S’en aller ou être pendu. Il