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UNE VIE BIEN REMPLIE

tables de jeux, mettre sur le tapis jusqu’à des milliers de francs, qui, sur un coup de carte ou de roulette vont être perdus en deux minutes, cela fait penser qu’il faut à un travailleur toute une journée de peine pour gagner son pain quotidien.

Partout où les riches s’amusent, le travail et les ouvriers ne comptent pas.

Dans les hôtels, c’est la même chose ; plus ils sont luxueux, moins on a d’égards pour le personnel ; il m’a été donné de voir une dame de 50 ans, parlant l’anglais et l’allemand, attachée comme interprète à l’un des plus importants établissements, elle devait rester dans un petit couloir, une sorte de bureau où il n’y avait jamais de feu ; elle passait toute la journée dans cette espèce de boîte et n’en sortait qu’appelée par la sonnerie électrique d’un tableau, placé au-dessus de sa tête. S’étant plaint, une fois qu’elle avait froid, il lui fut répondu qu’elle était trop âgée pour occuper la place ; qu’il y avait dix demandes pour une ; elle quitta cette maison pour s’aliter.

À côté de cette indifférence envers les petits, on voit la barbarie dans son horreur, n’est-il pas criant de voir devant ce palais de jeu, des centaines, des milliers même de jolis pigeons gracieux qui viennent manger jusque dans votre main, et tout à l’heure, ils tomberont morts ou pantelants, les ailes saignantes et fracassées sous le plomb de l’amateur qui, s’il en a abattu le plus grand nombre, recevra un prix.

Oh ! société pourrie et barbare qui n’a que des instincts morbides, quand donc un monde nouveau, imbu de justice et de bonté te précipitera dans l’oubli.

Aujourd’hui à Nice, la mer est d’une beauté de rêve, tandis qu’hier elle était très vilaine, le temps était couvert de nuages d’un gris sale ; naturellement, la mer les reflétaient aussi, elle était comme du lait caillé.

Après midi, un petit bateau de pêche a amené deux requins, qui ont été déposés sur le sable ; cachés par un bout de toile, on donnait quelques sous pour les voir ; l’un des deux pesait 550 kilogs, ils avaient été pêchés en vue des côtes de Corse.

Si ma santé le permet, j’irai la semaine prochaine en excursions à la gorge aux Loups, je te dirai mes impressions.

En attendant de tes bonnes nouvelles, je te serre la main de parfaite amitié.

Pierre Cadoret.