Page:Une Vie bien remplie (A. Corsin,1913).djvu/24

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
20
UNE VIE BIEN REMPLIE

suspendue aux solives sur laquelle se trouve quelques fromages mous dont le petit lait nous tombait sur la tête ; l’âtre sans feu ; sur la table, une petite île faite avec du lait caillé mélangé de mies de pain bis, et, comme êtres vivants : des mouches en quantité. La femme offre du pain et du fromage ; on remercie ; on donne quelques sous à un enfant morveux et mal peigné.

Il n’y a personne dans la troisième maison ; elle est encore couverte en paille.

Enfin, dans la quatrième, nous trouvons un être humain qui nous donna des renseignements très intéressants ; il nous apprit qu’il y a vingt ans, toutes ces maisons étaient habitées par des cultivateurs qui étaient riches de trois à dix hectares de bonnes terres et qu’ils cultivaient eux-mêmes. Aujourd’hui, un seul continue à faire valoir son bien ; des autres propriétés, trois ont perdu leurs propriétaires ; les terres sont affermées aux fermiers voisins, en attendant que les enfants qui sont à Paris se mettent d’accord pour faire vendre, et pour que les maisons ne tombent pas en ruine, ils les louent à de pauvres diables comme moi, avec le jardin et un peu de terre, de quoi faire du fourrage pour la vache, don la femme s’occupe pendant que le mari se loue dans une ferme d’alentour ou aille à la journée. Vous voyez, c’est Paris qui mange tout ; si moi-même je n’avais pas deux enfants, j’irais y chercher du travail ; n’importe quoi ; ici, on vit comme des bêtes ; on ne voit personne ; c’est la misère, même pour les petits propriétaires, parce que la terre a perdu moitié de sa valeur depuis trente ans.

Ayant assez de ces visites à domicile, nous avons quitté ce hameau qui, il y a quarante ans, passait pour le plus riche de la commune.

Nous revînmes par les chemins verts ; mon ami me fit remarquer que le vieux manoir de Couffraut avait été démoli ; les fossés bourbeux qui l’entouraient étaient comblés. C’est ce seigneur terrien qui, dans un acte public, répondait avec fierté au maire qui lui demandait de signer : « Je ne sais pas signer, mais je suis gentilhomme. »

Avant de rentrer dîner, nous fimes une pause au bord de la jolie rivière, où le murmure de l’eau sur quelques cailloux est si doux et si harmonieux ; de l’autre côté, se