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UNE VIE BIEN REMPLIE

non seulement tout cela anime la nature et fait le charme des hommes, mais, de plus, il est prouvé que les oiseaux détruisent les vers et insectes nuisibles aux récoltes et aux arbres.

— Tiens, me dit mon ami, regarde ce hêtre, c’est un des plus beaux arbres que l’on puisse voir ; il n’y a, je crois, que celui de la forêt de Villers-Cotteret qui soit plus beau ; tu l’as vu, du reste ; il a 60 mètres de haut dont 40 sans une seule branche, et gros en proportion, avec 300 ans d’âge, dit-on.

Suivant la magnifique allée centrale, nous arrivons bientôt à la sapinière ; là, se trouvent sur un terrain de bruyère recouvert d’un tapis d’aiguilles glissant, environ trois cents sapins des Vosges, droits comme une obélisque, hauts d’au moins cent pieds ; c’est magnifique. Devant nous, dans le lointain, le château de la Motte-du-Pré, caché en partie par les platanes et les peupliers, dont les feuilles commencent à se jaunir comme l’or sous les rayons du soleil ; on ne peut trouver un endroit plus ravissant, aussi, sommes-nous vite commodément assis sur des racines faisant saillies. Cadoret, qui est un homme de précaution, sort de sa poche une petite bouteille de vin clair en disant : « Voici de quoi nous désaltérer si la soif nous prend. »


VI


L’endroit est si joli, lui dis-je, que nous pouvons y faire une longue pose ; c’est le moment de me raconter ta vie. Bien volontiers, dit-il. Ma vie est un peu banale, comme celle de tous ceux qui composent la grande masse. J’ai travaillé, lutté pour la vie, aimé et souffert ; c’est la vie commune, sans romans. Tu as connu ma famille, frères et sœurs morts aujourd’hui, je n’en dirai que quelques mots au cours de notre causerie.

Nous étions une famille de pauvres terriens, ma grand’mère racontait qu’en l’hiver de 1789, n’ayant plus de pain, ils ont vécu, pendant des semaines, en partie avec des herbes sèches qu’ils faisaient bouillir pour les manger.