Page:Une Vie bien remplie (A. Corsin,1913).djvu/35

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
31
UNE VIE BIEN REMPLIE

que la réflexion, je donnai un soufflet à ma sœur, quand, un instant après, mon frère rentra ; au lieu de la scène à laquelle je m’attendais : des coups de fouets ou de poings, il se contenta de me dire que je venais de lui fournir l’occasion de se débarrasser de moi, ce qu’il cherchait depuis longtemps. En effet, le lendemain, j’étais en train de préparer ma malle, quand les gendarmes entrèrent avec mon frère. L’un d’eux me dit :

« C’est toi, garnement, qui a voulu tuer ta sœur, qui voudrait rester à ne rien faire pour manger le pain de tes frères et sœur qui travaillent ? »

Ma mère et ma sœur étaient figées, muettes ; elles ne purent rien dire ; elles pleuraient dans leur mouchoir ; ma grand’mère sanglottait à faire mal ; mon frère seul parla et dit : « Oui, emmenez-le ». On me mit les menottes, mon frère alla chercher une bouteille de vin qu’il offrit aux gendarmes ; moi, je pris un verre d’eau, car j’avais la gorge paralysée. Cela m’a duré jusqu’à ce que je sois dans le grand chemin, devant les gendarmes qui m’emmenaient enchaîné.

En arrivant sur la route, un homme de Douchy demanda aux gendarmes la permission de me faire monter dans sa voiture. Cet homme me demanda ce qui c’était passé ; je le lui dis mot pour mot ; il me recommanda de ne pas me frapper, de ne pas en vouloir à ma mère ; il me fit descendre devant la maison d’école de Dicy, où il dit aux gendarmes que mon frère avait très mal agi et qu’il le lui dirait lui-même à la première rencontre.

Le maître d’école se trouvait avec sa dame sur sa porte ; elle me connaissait ; me voyant enchaîné, elle se trouva presque mal, à ce point que son mari lui fit respirer du vinaigre ; il passa avec les gendarmes, dans la pièce à côté, et deux minutes après, on m’ôtait les menottes en me disant de ne plus recommencer. J’étais tellement assommé de ce qui m’arrivait, que je ne prononçai pas un mot pour me justifier.

C’est seulement après le départ des gendarmes que je pus raconter au maître d’école ce qui c’était passé ; à cet homme qui me parlait avec bonté, je racontai en détail les scènes qui se passaient chez nous.