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UNE VIE BIEN REMPLIE

tionale : fonte d’obus, de canons, transformation des vieux fusils, équipement militaire ; tout cela s’appelait défense nationale.

Je fis partie d’une compagnie de marche, la 203, et, d’octobre à janvier, on ne fut pas très heureux : gelés, mal nourris ; une fois, entre autres, un soir de décembre que la compagnie devait aller au fort d’Aubervilliers, on fit la distribution des vivres, qui se composaient, en tout et pour tout, d’un hareng saur pour deux hommes.

Notre capitaine, nommé Collot, était un homme de cinquante-cinq ans, aussi doux qu’énergique ; il était aimé comme un père ou un frère ; au repos, il n’était pas le dernier à dire son mot sur les événements, surtout après le 29 novembre, où la plupart des hommes criaient à la trahison. On racontait qu’un simple marinier ne se serait pas trompé et aurait fait, du premier coup, un pont de bateaux avec des péniches, car, à cet endroit, la Marne n’a pas plus de cent mètres de large et est protégée par le fort de la Faisanderie, situé au-dessus, à trois ou quatre cents mètres de distance ; de cette façon, le passage aurait été ainsi assuré ; aussi on n’appelait plus Ducrot que Bazaine « pont trop court ».

Si, à ce moment, il s’était trouvé des hommes d’action, certainement que la garde nationale, en grande majorité, aurait renversé le gouvernement et peut-être mis à mort les hommes qui amusaient le peuple, tels : Trochu, Jules Favre, Ducrot, Vinoy.

Si, au repos, notre capitaine manifestait aussi sa colère, il exigeait le silence quand on était en marche ou en observation ; il disait rien n’est perdu, notre grande enceinte a un pourtour de trente lieues ; nous sommes huit cent mille prêts pour la bataille ; l’ennemi n’a pas trois cent mille hommes autour de Paris ; que l’on fasse, le même jour, à la même heure, quatre fausses sorties, comprenant chacune cent mille hommes, il faudra bien que l’ennemi se dégarnisse ; alors nous passerons et le prendrons entre deux feux. Ce raisonnement semblait juste et la confiance revenait. Il disait aussi : Surtout, ne frappons pas un ennemi désarmé et ne faisons pas de bravades inutiles ; la bravoure ne défend