Page:Une galerie antique de soixante-quatre tableaux (Philostrate de Lemnos, trad. A. Bougot).pdf/215

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feu qui vit dans l’eau comme d’un spectacle merveilleux ; mais ce n’est pas sa pensée qu’il exprime ni celle de l’artiste qu’il expose ; il nous donne celle de l’enfant auquel il s’adresse, et dont l’attention est plutôt attirée par le choc de deux éléments contraires que par la beauté des personnages. Philostrate, au contraire, s’attache plutôt à nous décrire l’action et l’attitude d’Héphæstos et du Xanthe.

Malheureusement le rhéteur ne satisfait qu’à demi notre curiosité sur ce point. Héphæstos court vers le fleuve, entraînant après lui un torrent de flammes. Mais quelle est l’attitude exacte du Xanthe ? Est-il placé, comme dans une miniature d’un manuscrit de l’Iliade, sur le sommet d’un rocher, d’où il contemple mélancoliquement ses eaux taries et ses bords ravagés ? Se soulève-t-il à moitié hors de ses eaux, comme le veut Welcker qui rapproche d’autres descriptions de Philostrate, ce qui ne permet guère de conclure pour celle-ci, et qui cite le Danube d’un bas-relief de la colonne Trajane ? Nous ne voyons pour notre part aucune difficulté à accepter l’une ou l’autre de ces conjectures. Héphæstos est-il armé de torches comme dans la même miniature ? Cela est peu probable ; cette circonstance singulière n’aurait pas été sans doute passée sous silence par Philostrate. On s’est étonné que Philostrate ne nommât point les attributs d’Héphæstos ; mais Philostrate ne fait point un cours d’archéologie et n’explique pas l’art antique à des modernes : il a reconnu le dieu à son action plutôt qu’à son bonnet obligé ou à des tenailles jetées par terre ; c’est aussi l’action seule qui le préoccupe. On a trouvé que le feu qui brûlait le Scamandre devait aussi brûler Héphæstos ; cette critique paraît singulière, attendu qu’Héphæstos dirige le feu, et que c’est son métier de le diriger. Rien ne dit d’ailleurs qu’il soit au milieu du feu même. Achille n’est point présent ; mais, à partir du moment où le combat est engagé entre Héphæstos et le Xanthe, il n’est pas question d’Achille non plus dans Homère. D’ailleurs Philostrate a peut-être pris sur lui de nous dire que les cheveux du Scamandre étaient consumés, comme la végétation de ses bords ; l’artiste pouvait avoir donné des cheveux courts au Scamandre. Philostrate aura trouvé ingénieux d’expliquer par l’action de la flamme l’absence d’une longue chevelure. Une autre subtilité de rhéteur, c’est de croire que, si Héphæstos ne boite pas, c’est qu’il court avec rapidité : dans la marche, c’est le mouvement alternatif des deux jambes qui nous montre que l’une d’elles est plus longue que l’autre. Dans un tableau l’homme qui court ou qui marche a nécessairement un pied levé, l’œil ne peut dès lors mesurer exactement les deux membres ; aussi ne nous paraîtraient-ils pas inégaux, quand même ils le seraient. Si l’Héphæstos d’Alcamène semblait boiter, c’est qu’il était représenté au repos : in quo stante in utroque vestigio leviter apparet claudicatio non deformis[1]. D’ailleurs les artistes ne croyaient pas nécessaire de se conformer à la vieille

  1. Cic., D. N. D., I, 30.