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cours d’un fleuve qui sort de terre, le Fleuve lui-même ou le génie qui l’alimente, ne saurait mieux faire qu’en posant le pied sur les sources : le Verseau fut donc conçu comme un géant qui avait la tête dans les astres et les pieds sur le sol de l’Éthiopie, à l’endroit où jaillissaient les eaux du Nil. Un fragment de Pindare nous parle d’un colosse de cent brasses qui par le mouvement de ses pieds faisait déborder le Nil[1]. Nous ne savons si Pindare est l’auteur de cette fiction ; mais qu’il faille l’attribuer à ce poète, ou au fonds commun des légendes mythologiques, on se rend à peu près compte de quel travail d’imagination elle est sortie. C’est le point principal, dans ces questions obscures de priorité d’invention. Quelle que soit l’origine de cette fiction, l’image était grande et belle, et devait tenter un artiste ; la difficulté était de la faire entrer, avec ses proportions, dans le cadre d’un tableau. Nous croyons avoir retrouvé la façon dont le peintre avait résolu le problème.



VI

Les Amours.


Les Amours font la récolte des pommes, comme tu vois ; ne sois pas surpris de leur nombre, car ces enfants des Nymphes, qui gouvernent toute la race mortelle, sont innombrables en raison des innombrables désirs de l’homme. Il est, cependant, dit-on, un amour céleste qui a dans le ciel des fonctions divines. L’agréable parfum qui s’exhale du verger ne vient-il pas jusqu’à toi ? aurais-tu l’odorat paresseux ? oui ; eh bien, écoute attentivement, mes paroles apporteront jusqu’à toi l’odeur des fruits. Plantés en lignes droites, ces arbres laissent entre eux de larges avenues pour les promeneurs ; les allées sont bordées d’une herbe fine qui peut tenir lieu d’un lit de repos. Aux extrémités des branches pendent des pommes dorées, couleur de feu ou blondes comme un rayon de soleil qui invitent l’essaim tout entier des amours au rôle de vendangeurs. Les carquois rehaussés d’or, ou tout en or, et remplis de leurs flèches, toute la bande s’en est dépouillée ; légère, elle prend ses ébats, après avoir suspendu cet attirail aux pommiers ; les manteaux brodés sont étendus sur le gazon, où ils brillent de l’éclat de mille couleurs. Les Amours n’ont point sur la tête de couronnes de fleurs, leur chevelure leur est une parure suffisante, leurs ailes bleu d’azur ou couleur de pourpre, quelques-unes dorées, font presque entendre en battant l’air un

  1. Pindare, édit. Boeck, fragm. 110. Le Scholiaste des Phénomènes d’Aratus (282) nous apprend que ce géant était regardé par les commentateurs de Pindare comme Ganymède, et que Ganymède était un autre nom du verseau. Philostrate dans la Vie d’Apollonius, VI, 26, parle aussi de ce démon, gardien des sources du Nil.