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C’est donc en Éthiopie que Philostrate place le colosse de Memnon. Suivant les auteurs anciens, Strabon et Pausanias[1], cette statue se trouvait près de Thèbes, et c’est près de Thèbes aussi que de nos jours on a retrouvé un colosse sur lequel on compte soixante-douze inscriptions en l’honneur de Memnon[2]. On pourrait croire que Philostrate, peu rigoureux, comme beaucoup d’anciens, dans l’emploi des termes de géographie, entend par Éthiopie, non seulement le pays qui est au sud des cataractes du Nil, mais encore l’Égypte méridionale. Cette explication ne paraît pas cependant satisfaisante : car dans la Vie d’Apollonius de Thyane, il fait dire à Damis, le disciple du célèbre thaumaturge, que la statue de Memnon se voit chez les Macrobiens, les plus reculés de tous les Éthiopiens[3]. Letronne citant ce passage en conclut que Philostrate n’avait pas vu et ne connaissait pas l’Égypte[4]. Nous retrouvons ici la même erreur, autorisant la même conclusion. Remarquons en outre que suivant Philostrate, la statue de Memnon était taillée dans une pierre noire, tandis que la statue connue aujourd’hui sous le nom de Memnon est d’un rouge brunâtre[5]. Une belle occasion, pour le rhéteur, s’il avait connu ce détail, de nous montrer le rouge et le brun s’unissant dans la pierre pour rendre les deux teintes qu’il remarque sur le visage de Memnon, la couleur noire et l’éclat de la jeunesse[6] !


VIII

Amymone.


Tu as rencontré, je crois, dans Homère Poseidon voyageant sur les flots comme sur la terre, quand il se rend d’Eges vers les Achéens, et que la mer aplanie lui donne pour l’accompagner ses chevaux et ses monstres marins. Ce cortège qui frémit de joie sur les pas du dieu, tu le retrouves ici. Dans le poète, il est vrai, ce sont des chevaux de terre ferme ; tu le reconnais, j’imagine, à leurs pieds d’airain, à leur vitesse que le fouet accélère ; mais ici ce sont des hippocampes attelés à un char ; leurs sabots sont faits pour effleurer l’eau, pour nager ; leurs yeux ont

  1. Strabon, III, p. 810 ; Paus., I, 42, 3.
  2. Voir Lettrone, la Statue vocale de Memnon, p. 1 à 8.
  3. Vie d’Apollonius, VI, ch. iv.
  4. La Statue vocale de Memnon, p. 33. Nous renvoyons à cet ouvrage, chef-d’œuvre de discussion scientifique, pour l’histoire de la légende Memnonienne, et celle de la statue qui porte les inscriptions en l’honneur de Memnon. Sur l’assimilation de Oumman, un des plus anciens rois de la Susiane, et plus tard d’Amenhotep III avec Memnon, voir Maspéro, Hist. anc. des peuples de l’Orient, p. 154 et 210.
  5. Millin, Dict. des Beaux-Arts, art. Memnon. Millin, qui admet le témoignage de Philostrate, ne reconnaît pas Memnon dans ce colosse d’un rouge brunâtre. Les arguments de Millin sont d’ailleurs bien faibles et entièrement ruinés par la dissertation de Letronne.
  6. Sur les autres monuments relatifs à l’histoire de Memnon, voir Overbeck, Die Bildw, p. 512 et suiv., et Lowenherz, Die Aethiopien.