Page:Une galerie antique de soixante-quatre tableaux (Philostrate de Lemnos, trad. A. Bougot).pdf/274

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rivage d’Asie. Quels étaient ces personnages ? Philostrate nous dit que c’é- taient les mêmes jeunes gens qu’il nous montrait toutà l’heure poursuivant les bêtes sauvages sur la côte d’Europe. Ils seraient donc représentés deux fois. Bien qu’il n’y ait rien là de contraire aux habitudes de l’art antique, ce- pendant il peut se faire que Philostrate se soit trompé ; des chasseurs sur une rive, une barque traversantun détroit, ce sont là deux scènes qui ne sont pas nécessairement liées entre elles ; Philostrate aurait bien dû nous appren- dre à quels signes il reconnaît les mêmes personnes sur les flots et sur la terre. Il semble s’étonner qu’ils rament eux-mêmes ; en effet les chasseurs doivent être gens de bonne maison, faisant ramer, et ne ramant pas ; mais celte circonstance mème pourrait bien prouver que nos rameurs ne sont pas les chasseurs de la côte. D’ailleurs qu’ont-ils fait de leurs chevaux ? Il faut donc supposer que les chevaux ont leur écurie en Europe et les maîtres leur habitation en Asie. La chose sans doute n’est pas impossible, mais que Phi- lostrate ait deviné tout cela en présence de la peinture, c’est ce qui nous pa- raît plus invraisemblable. Notre sophiste compose un récit qui lui plaît, sans trop se soucier de l’intention du peintre.

La maison vers laquelle se dirigent les rameurs ne doit pas nous sur- prendre, Dans certaines peintures murales de Pompéi et d’Herculanum (1), l’on retrouve aussi des murs à créneaux, de petites fenêtres, des portiques semi-circulaires, disposés le long d’un rivage ; on n’y distingue pas, il est vrai, les andrônes, ou salles de festin pour les hommes, qui naturellement n’étaient point à découvert ; mais toute maison complète devant les posséder, il est facile de les supposer là même où on ne les voit pas et c’est sans doute ce qu’a fait Philostrate,

Plus loin, toujours sur la même rive, les yeux rencontraient un rocher sur lequel Eros se tenait debout, la main tendue du côté de la mer, comme pour indiquer un endroit mémorable dans les fastes de l’amour. Philostrate invente-t-il la fable qu’il raconte pour expliquer le geste d’Eros, ou puise- til dans le trésor des légendes locales ? Nous ne savons : Leucade, depuis Sapho, avait en Grèce le triste privilège d’être choisi par les amants dé- laissés pour témoin de leur suicide ; mais rien n’empêche que la côte d’Asie n’ait eu aussi son rocher de Leucade.

Près de ce rocher, sur la falaise, creusée à sa partie inférieure par la mer, s’élevait une maison, habitée, dit Philostrate, par une jeune femme, par une veuve. Où notre auteur a-t-il pris que cette femme était une veuve ? Voilà sans doute encore un de ces traits qu’il demande uniquement à son imagina- tion : celte femme vit isolée, dans une espèce de château fort ; elle est pour- suivie par toute une bande de jeunes gens, qui ont découvert le lieu de sa retraite. Ce n’est point une jeune fille ; elle serait restée, jusqu’à l’enlèvement, dans la maison paternelle ; ce n’est point une femme mariée ; les mœurs

(1) Voir par ex. Antig. d’Herc., V, ?, p.295 et p. 213 ; Roux, II, 5* série, pl. XII et VII.