Page:Une galerie antique de soixante-quatre tableaux (Philostrate de Lemnos, trad. A. Bougot).pdf/289

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autres mesurent, cherchent ces justes proportions que l’art poursuit comme son but ; d’autres qui tiennent la scie, sont au-dessus de tout éloge pour l’invention, le dessin et la couleur. Vois en effet ; la scie a pénétré dans le bois, et le traverse de part en part ; deux Amours la font manœuvrer, l’un de bas en haut, l’autre de haut en bas, tous deux se penchent et se relèvent, mais non en même temps, c’est du moins ce que nous devons croire ; car l’un s’est baissé comme pour se relever, l’autre se redresse pour se baisser de nouveau ; le premier, en se relevant a la poitrine soulevée par l’air qu’il aspire, le second, aspirant l’air d’en-haut, les mains appuyées en bas sur la scie, a le ventre gonflé par l’effort. En dehors de l’atelier Pasiphaé, au milieu du bétail, considère le taureau avec admiration ; elle pense le séduire par sa beauté, par l’éclat merveilleux de sa robe qui défie toute la splendeur de l’arc-en-ciel. On lit dans son regard le trouble de son âme, car elle sait qui elle aime, et n’en persiste pas moins à désirer les embrassements du taureau. Lui cependant demeure insensible et regarde sa génisse. Il est représenté fier, comme il convient au chef du troupeau, armé de cornes élégantes, éclatant de blancheur, marchant d’un pas ferme, avec de larges fanons, un cou robuste, l’œil amoureusement fixé sur sa compagne quant à la génisse, errant en liberté avec le reste du troupeau, elle a la tête noire et le reste du corps entièrement blanc ; et se jouant du taureau, elle bondit comme une jeune fille qui se dérobe aux importunités d’un amant.



Commentaire.


Le tableau renferme deux scènes, d’un côté Dédale travaillant dans son atelier, de l’autre Pasiphaé, errant dans la campagne et contemplant le taureau. Comment ces deux scènes étaient-elles disposées de manière à être parfaitement visibles toutes les deux et à ne pas se nuire l’une à l’autre ? Apercevait-on la campagne dans le lointain par une fenêtre ouverte de l’atelier ? Le champ du tableau était-il divisé en deux par un mur, de manière à laisser voir d’un côté l’artiste, de l’autre son étrange cliente ? Le texte de Philostrate ne saurait nous éclairer sur ce point. Peut-être faut-il supposer que, comme dans beaucoup de bas-reliefs antiques, ces scènes étaient simplement juxtaposées ; une colonne, un rideau, un arbre, suffisent souvent à l’artiste ancien pour marquer la séparation ; quelquefois les personnages appartenant à deux scènes diverses se touchent, sans égard pour l’unité de temps ni de lieu. Nous avons au Louvre un bas-relief qui représente Dédale et Pasiphaé[1] : à droite Pasiphaé donne ses ordres à Dédale ; au milieu Dédale


  1. Clarac, Musée ; planches II, 164, no 227.