Page:Une galerie antique de soixante-quatre tableaux (Philostrate de Lemnos, trad. A. Bougot).pdf/291

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ment de leur simplicité, mais de leur bon goût qui tourne en parure l’ab- sence d’ornement (1). Des sandales auraient déshonoré un ancien Athé- nien, et un grand artiste, comme Dédale.

Ce sontles Amours, qui intéressent le plus vivement Philosirate dans le tableau ; il les décrit avec complaisance ; la variété el la vivacité de leurs actions lui paraissent charmantes. Mais quoil cette présence des Amours n’enlève-t-elle point au sujet son véritable caractère, qui est d’être soïbre et terrible ! Ge n’est point ici une scène d’amour, comme une autre ; Pasiphaé est victime d’une passion honteuse, et Dédale, en fabriquant sa génisse, de- vient le complice inexcusable d’un monstrueux égarement. Les Amours en égayant le sujet ne font que le rendre plus odieux ; mble que le peintre à son tour devienne le complice de Pasiphaé et de Dédale. Tout cela serait juste, si le sujet était emprunté parle peintre à la vie réelle ; si l’artiste avait voulu, par un exemple remarquable, étaler à nos yeux les déplorables effets de l’amour ; telle n’est point, paraît-il, son intention, ni celle des artistes an- ciens. Par son antiquité même, par son étrangelé, parle fréquent usage qu’en ont fait les artistes et les poètes, la fable de Pasiphaé a perdu quelque chose de son horreur primitive ; elle n’est plus, pour le peintre, qu’une occasion de représenter l’intérieur d’un atelier, les traits et le costume supposés d’un grand artiste, de montrer une riche et brillante Pasiphaé, de nous ouvrir une perspective sur une campagne. En outre, l’art ancien mêle volontiers les motifs gracieux aux sujets les plus dramatiques : ce qui nous parait à nous autres modernes une disparate n’est souvent pour l’artiste qu’un moyen de racheter la violence du sujet. Dans le bas-relief conservé au Louvre, les Amours ne tiennent ni le vilebrequin ni l’herminette, et ne manœuvrent pas la scie ; mais parmi les personnages de la première scène nous distinguons un Amour qui assiste à l’entretien de Dédale et de Pasiphaé ; son attitude, son visage tourné vers la reine, sa main au geste pressant, montrent assez qu’il inspire à la malheureuse reine son dessein et ses paroles ; dans la dernière scène, il est là encore, pour entraîner vers la génisse de Dédale Pasiphaé hésitante et presque immobile. Cette composition est moins gracieuse sans doute que celle qui nous est décrite par Philostrate ; ily règne cependantune grâce austère, peu conforme à l’esprit de l’antique légende ; les ouvriers tra- Yaillent avec conscience et gravilé comme s’il s’agissait d’une honnête he- sogne ; le jeune homme qui conduit la génisse à Pasiphaé a je ne sais quel air d’innocence ; et Pasiphaé elle-même, pleine de majesté et de sérénité sous les voiles qui la couvrent, pourrait être confondue avec la statue de la Pudeur. Tant il est vrai que pour les anciens, du moins à une certaine époque, le mérite de l’art consistait moins dans l’interprétation fidèle de l’histoire ou de la mythologie que dans l’ennoblissement du sujet par la grâce et la beauté (2) !





QG) Ibid, VIT, p. 252 de la traduct. (2) Nous ne pouvons approuver l’explication de Otto Jaln répondant à Heyne (Are. Beitr., p— 241) : « Les Amours peuvent bien aider une passion inspirée par Aphrodite. » I ne s’agit pas