Page:Une galerie antique de soixante-quatre tableaux (Philostrate de Lemnos, trad. A. Bougot).pdf/292

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Les Amours menuisiers ne sont pas rares dans les représentations de l’art antique, qui d’ailleurs, les fait de tous métiers. Les commentateurs, qui n’ont pas compris le texte grec se sont étonnés de l’attitude attribuée par Philostrate aux deux Amours qui tiennent la scie. En effet, si l’on conçoit par la pensée deux Amours dont l’un est debout sur des tréteaux, l’autre sur le sol, il semble que les mouvements doivent s’exécuter en même temps, et non tour à tour, par conséquent quand l’un se penche, l’autre se penche aussi et tous deux se relèvent à la fois. Parmi les peintures campaniennes, il en est deux qui représentent des Amours en train de fendre une poutre avec la scie ; dans la première (2) les Amours sont l’un assis, l’autre debout sur le sol, et se faisant face ; dans le second, l’un des deux Amours est monté sur un baudet de scieur ; dans les deux cas les mouvements des deux Amours doivent avoir lieu, ainsi que l’indique d’ailleurs leur attitude, dans le même sens ; l’un s’inclinant ou se redressant, l’autre s’inclinera et se redressera. Faut-il en conclure, comme Friederichs, que Philostrate n’ayant pas un tableau sousles yeux, a décrit d’imagination deux attitudes différentes, sans songer qu’elles étaient inconciliables ? Nous ne le pensons pas. On remarquera qu’un des deux amours, celui qui est à terre, a les mains appuyées en bas sur la scie, en même temps qu’il aspire l’air d’en haut ; par conséquent ses mains seules ont accompagné le mouvement de la scie qui descendait et lui-même s’est rejeté en arrière ; bien que celte manœuvre ne soit pas la plus naturelle, la plus usitée en pareil cas, elle est pourtant aisée à concevoir. On peut sup- poser que le peintre l’avait adoptée précisément pour établir entre les deux Amours ce contraste que relève Philostrate.

Ces deux Amours sont occupés àscier une planche ; mais, cette planche, qu’en fera l’artiste ? La génisse doit être presque achevée, dit Friederichs (4) ; les Amours devraient se reposer au lieu de travailler. Aucun reproche ne



  • nous paraît moins juste. Philostrate d’abord ne dit pas jusqu’à quel point

l’ouvrage esi avancé : ne peut-il pas se faire que toutes les pièces ne soient pas ajustées ni préparées ? s’il en reste une à fabriquer, c’est à celle-là que travaillent nos Amours. D’ailleurs nous sommes dans un atelier ; les Amours sont les aides ou les apprentis de l’artiste ; un ouvrage fait, ils en commen- cent un auire, et la nature de leur occupation nous indique quel rôle ils ont joué dans la construction de la génisse.

Dans le lointain nous aperceyons non seulement Pasiphaé et le taureau dont elle est éprise, mais encore la génisse, compagne habituelle du taureau. Ce dernier détail a vivement choqué un commentateur. « Si l’art grec, dit-il, eut réellement produit un pareil tableau, il serait tombé dans la vulga- rité. Pasiphaé se montre à nous comme la rivale d’une génisse, un être de motiver la présence des Amours, dans le tableau, mais de justifier le caractère que leur présence donne au sujet.

(1) Ant. d’flere., À, P. 181 ; Roux, If, 2 série, pl. CXLVL. (2) Die Philostr. Biläer, p. 142.