Page:Une galerie antique de soixante-quatre tableaux (Philostrate de Lemnos, trad. A. Bougot).pdf/293

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qui n’est docile qu’à l’impulsion des sens ! »[1] Nous doutons beaucoup qu’un tel scrupule ait pu jamais entrer dans l’esprit d’un artiste grec. Si Pasiphaé, en aimant le taureau, en désirant ses embrassements, suivant l’expression de Philostrate, descend au-dessous de la génisse ; ce qui la dégrade à nos yeux c’est moins cette rivalité, que sa passion monstrueuse. Virgile n’a pas plus hésité que le peintre à nous montrer le taureau poursuivi par la femme de Minos, et poursuivant à son tour une génisse dans les bois de Gortyne.

Illice sub nigra pallentes ruminat herbas,
Aut aliquam in magno sequitur grege…
Aut aliquam in magno seq… forsitan illum
Aut herba captum viridi, aut armenta secutum
Perdueant aliquæ stabula ad Gortynia vaccæ[2].

On dirait les vers de Virgile inspirés par un tableau semblable à celui de Philostrate ; ni le poète ni l’artiste ne paraissent avoir commis une faute. Au contraire l’amour du taureau et de la génisse apitoyaient le spectateur ou le lecteur antique sur le malheur de Pasiphaé, et rehaussaient encore le mérite de Dédale, assez habile pour faire servir à ses desseins une circonstance qui semblait devoir y apporter un invincible obstacle.

Le taureau était blanc ; ainsi le voulait la tradition.

Pasiphaen nivei solatur amore juvencum
· · · · · · · · · · · · · · · · · · · ·
Ille latus niveum molli fultus hyacintho[3].

La génisse également blanche avait la tête noire. Pourquoi ce pelage de deux couleurs ? pourquoi cette opposition du blanc et du noir ? la question a été faite. Il nous semble que ce contraste est une rareté, et par là même une distinction qui contribue à la beauté de l’animal. La génisse, aimée du taureau blanc qui inspirait un si violent amour à Pasiphaé, était digne de ne point ressembler à toutes les autres génisses. À ce motif pouvaient se joindre des raisons de coloris et d’harmonie générale qui nous échappent. Mais dût la fantaisie de l’artiste avoir seule imaginé cette diversité de poil entre le corps et la tête de la génisse, nous trouverions encore qu’il n’avait pas outrepassé ses droits[4].



XVI

Hippodamie.


C’est ici une scène de surprise et d’effroi : autour d’Œnomaos l’Ar-

  1. Frieder, même ouvr., p. 143.
  2. Bucol., VI, 54, 55 ; 61-63.
  3. Bucol., VI, v. 46 et 53.
  4. Sur les autres monuments relatifs à Dédale ot Pasiphaé, voir Otto Jahn (Arch. Beitr., p. 237) ; outre les monuments dont il est question plus haut, il décrit deux peintures murales de Campanie, et un très ancien tableau, découvert en 1816 à Tor Maranciano, et très remarquable pour l’expression de Pasiphaé. Cette dernière peinture a été reproduite par Raoul Rochette, Peint. ant. in., pl. 1-5.