Page:Une galerie antique de soixante-quatre tableaux (Philostrate de Lemnos, trad. A. Bougot).pdf/301

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couleur et d’expression ; en effet, sile char ou les chevaux avaient eu des ailes, Philostrate les aurait admirés pour ce motif, et non parce qu’ils cou- raient sur les flots. Un vérilable char, semblable aux autres, mais qui n’en- fonce point dans la mer, voilà pour lui le prodige.

Hippodamie et Pélops montaient le même char. Ainsi ils étaient représen- tés d’après Apollonius sur le manteau donné par Athénà à Jason (4) ; ainsi, sur le coffre de Cypsélos où l’on voyait, dit Pausanias, Œnomaos poursuivant Pélops qui tenait Hippodamie ; ainsiils nous apparaissent sur le vase dit d’Ar- chémore et sans doute aussi sur le bas-relief romain dont nous n’avons con- servé qu’un fragment (2). Les artistes en cela ne faisaient que suivre la légende. Œnomaos, dit Lucien (3), avait exigé que sa fille füt assise auprès des préten- dants, sur le même char, afin que ses rivaux, uniquement occupés d’elle, ne fissent pas attention à la conduite de leur char, raffinement d’habileté qui causa la perte d’Œnomaos, quand sa fille, au lieu d’être sa complice, devint celle de Pélops, mais circonstance heureuse pour les artistes à qui elle permettait de réunir, dans un groupe élégant, le héros et sa fiancée. Cepen- dant Hippodamie n’est point à côté de Pélops, sur le sarcophage du Louvre ; d’après les commentateurs, il faudrait la reconnaître dans une des trois fem- mes placées à l’extrémité de la composition. Elle n’est nisur le char, ni ail- leurs dans le bas-relief de Guattani ; quant au vase d’Archémore, il ne diffère qu’en quelques points de la description de Philostrate. Hippodamie, quitient dans sa main une lance, sans doute celle de Pélops, et de l’autre s’appuie sur le rebord du char, détourne la tête, comme si elle craignait que Myrtilos, gagné par elle, ne la trahit, au lieu de trahir son père ; on comprend cette inquiétude, puisque le char d’Œnomaos est sur le point d’atteindre celui de Pélops et que le vieux roi se penche en avant, avec sa lance prète à frapper. Dans Philostrate, au contraire, Œnomaos est renversé ; Hippodamie n’a plus rien à craindre des projets homicides de son père ; elle peut alors répondre à l’amour de Pélops et se serrer près de lui, avec la joie de l’avoir vraiment con- quis. Quoi, dira-t-on, à la vue du cadavre de son père, justement puni, mais qui aurait dù l’être par un autre que par elle, Hippodamie songe encore à ses amours ! elle ne met point d’intervalle entre le meurtre de son père et les mar- ques de sa tendresse pour un homme dont elle achète la victoire à un tel prix ! Ne demandons pas à l’artiste ancien une délicatesse de sentiment qui n’est ni dans le sujet ni dans le rôle des personnages. Hippodamie a conçu son crime sans hésitation, elle le consomme sans remords ; elle jouit sans trouble de sa victoire.

Hippodamie, dit Philostrate, est vètue comme une fiancée. Le voile était la partie la plus caractéristique de ce costüme. Sur le vase de Ruvo, décrit



{1) Apollonius de Rhodes, I, 153. 2) Le bas-relief décrit par Ritschl ; voir les notes précédentes. (3) Lucien, Charidème ou de la beauté, c. x1x.