Page:Une galerie antique de soixante-quatre tableaux (Philostrate de Lemnos, trad. A. Bougot).pdf/316

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temps transportait l’imagination du spectateur sur cette lerre de Lydie, regardée comme la contrée favorite du dieu, comme le théâtre de ses céré- monies les plus pompeuses et les plus bruyantes, par conséquent les plus. sacrées, L’emploi de la pourpre ne saurait nous étonner ; Cléopâtre remontant le Cydnus sur un navire à poupe d’or et aux avirons d’argent n’avait eu garde de dédaigner pour les voiles ce genre de luxe (1). D’ailleurs les Phrygiens étaient célèbres pour leur habileté à mêler les fils d’or à la trame d’un tissu. Dans Virgile, la chlamyde garnie d’un double méandre de pour- pre, qu’Énée donne à Cloanthe, était brodée en or : on y voyait, dit le poète, Ganymède enlevé par l’aigle de Jupiter ; les chiens du jeune homme aboyant après l’oiseau ravisseur, les gardiens tendant les mains au ciel (2). La voile de pourpre décrite par Philostrate n’est point une merveille plus étonnante, Cette voile, sans doute obliquement tendue par rapport au spectateur de manière à laisser deviner le mouvement en avant du navire et à déployer toute sa richesse d’ornementation, élait unique ; comme dans tel navire des peintures de Pompéi, elle s’abaissait des antennes jusque sur le pont, où les écoutes la fixaient aux deux côtés du navire.

Quant à l’embarcation des pirates, c’était un vaisseau de guerre antique ; rien n’y manquait, ni l’éperon à fleur d’eau pour fendre ou rendre immobiles les navires ennemis, ni les épotides ou longs pieux saillants pour prévenir les chocs ; ni les mains de fer pour saisir, ni les faux pour monter à l’abor- dage. Deux yeux menaçants, dit Philostrate, s’ouvraient à la proue. Était-ce, comme le prétend le rhéteur, pour mieux ressembler à un monstre marin et glacer l’ennemi d’effroi par un spectacle inattendu ? Était-ce, comme le veut Welcker, un symbole de la prudence avec laquelle un navire doit être dirigé ? Nous ne saurions dire ; toutefois, il est utile de rappeler que tous les navires de l’antiquité avaient ces sortes d’yeux ; ils servaient à y engager les cordages des ancres qui étaient souvent attachées aux épotides (3). Cet œil, percé de chaque côté de la proue répondait aux besoins de la cons- truction ; qu’on l’ait tourné en parure, qu’on lui ait donné un air étrange et terrible, rien de moins étonnant ; car les poètes, devancés sans doute en cela par l’imagination populaire, ont souvent considéré les navires comme des bêtes gigantesques, nageant à la surface des flots,

Les Tyrrhéniens se métamorphosent tous en dauphins ; mais la métamor- phose des uns n’est pas aussi avancée que celle des autres. C’est la coutume des poètes, lorsque plusieurs personnages passent ainsi d’un état à un autre, de répartir entre eux les différentes phases de la transformation ; l’un est métamorphosé tout à fait, l’autre à demi, l’autre à peine. Cette variété est

(1) Plut., Vie d’Antoine, 26.

(2) En. V, 250. Cf. I et la note de Servius.

(3) Guhl et Küner, Das Leben der Griechen, 1, 289. — Eustathe (1931) sppelle aussi dgfaoi les trous par lesquels passaient les rames,