Page:Une galerie antique de soixante-quatre tableaux (Philostrate de Lemnos, trad. A. Bougot).pdf/329

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épris de sa sœur, et qui, l’ayant perdue, aurait cru, à cause de sa ressem- blance avec elle, la contempler encore en se regardant lui-même dans une source ; si toute cette légende n’a pas été inventée plutôt pour donner une lecon àla beauté, fière d’elle-même et dédaigneuse de tout autre visage que le sien propre (4) ; ou bien encore, si le sort de Narcisse est l’image de ces fleurs qui poussent sur la rive d’un ruisseau et se fanent après un moment d’éclat. Ni le peintre dont Philostrate décrit le tableau, ni Philostrate ne paraissent avoir songé à l’une ou à l’autre de ces diverses interprétations de la légende. Nos observations ne porteront done que sur la composition du tableau et l’attitude de Narcisse.

Si nous considérons les peintures de Pompéi et d’Herculanum qui nous représentent Narcisse (elles sont nombreuses : M. Helbig dans son catalogue en compte jusqu’à trente-sept), nous serons étonnés tout d’abord de voir com- bien dans toutes sans exception le paysage est pauvre et presque désolé : des rochers nus, taillés à pic on faisant saillie sur une source, un roseau qui se dissimule au bord du cadre, un arbre sortant des flancs arides d’une col- line, quelques fleurs éparses sur les bords du ruisseau, voilà, en les réunis- sant, presque toutes les richesses de la campagne où les peintres de Cam- panie ont placé leur Narcisse ; on y chercherait vainement el le lierre et les grappes de raisin que Philostrate paraît si ravi de contempler et de décrire ; point d’antre pour abriter les nymphes, point de statue pour indiquer un lieu consacré et fréquenté ; on peut croire que jusqu’à ce moment Narcisse seul à pénétré dans cette solitude ; que cette eau n’a réfléchi jusqu’ici qu’un seul visage, celui de Narcisse. Nous constatons la différence, sans songer à critiquer soit les décorateurs d’Herculanum et de Pompéi, soit le peintre de notre Narcisse ; il nous semble cependant que, sile paysage forme quel- quefois pour les personnages un cadre naturel, et comme obligé, c’est sur- tout pour Narcisse ; ainsi sans doute l’a pensé le Poussin, quand, selon l’ex- pression de Félibien (2), il a représenté Narcisse dans un lieu délicieux. Si Narcisse est fatigué de la chasse, s’il est accablé par la chaleur, ne doit-il pas rechercher, non seulement l’eau qui étanchera sa soif, mais encore la partie la plus épaisse du bois qui le garantira des rayons du soleil ?

Hi puer et studio venandi lassus et æstu Procubuit faciemque laci fontemque secutus (3).

La description de Philostrate, toute vraisemblable qu’elle est, est pour- tant sarprenante en un point : pourquoi l’antre est-il ainsi revêtu des plan- tes consacrées à Dionysos ? Ce dieu ne joue aucun rôle dans la légende de

(1) Preller, G.M., I, 598. (2) Entretiens sur la vie des peintres, IV, p. 85. Voir le tableau du Louvre, n° (3) Ovide, Mét., HIT, 413.