Page:Une galerie antique de soixante-quatre tableaux (Philostrate de Lemnos, trad. A. Bougot).pdf/330

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Narcisse. Faut-il croire que l’artiste, en faisant courir dans son paysage le- lierre et le pampre, n’a point songé à Dionysos et que Philostrate se trompe sur son intention ? Faut-il penser au contraire que, se rappelant les liens qui unissent Dionysos aux Nymphes, le peintre a cru que, partout où il y avaitune grotte et une source, fréquentées par lesnymphes, les plantes aimées du dieu devaient croître d’elles-mèmes ? Quoi qu’il en soit, ce séjour desnym- phes charmait agréablement la vue ; demander plus à un artiste même ancien, c’est peut être s’exagérer les devoirs de la peinture, même mythologique.

Le moment choisi par les artistes qui ont traité ce sujet n’est pas toujours le même. Tantôt Narcisse, assis sur un rocher, n’a pas encore aperçu son image qui se réfléchit dans l’eau ; tantôt, il semble se contempler avec quié- tude et comme indifférence ; on dirait qu’il n’a pas encore eu le temps de remarquer sa beauté et de s’éprendre de lui-même ; tantôt il étend derrière luison vêtement, de manière à se découvrir tout entier, et se penche telle- ment sur l’eau que sa chute paraît imminente (1). Ce dernier moment est cer- tainement le plus favorable : le geste, l’attitude tout vient en aide au peintre pour marquer la force de la passion, déjà empreinte sur le visage. C’est aussi le moment le plus dramatique, étant le plus près du dénoûment fatal (2).

D’autres personnages accompagnent souvent Narcisse : c’est Écho couron- née de roseaux, ou tenant à la main une guirlande, ou s’appuyant ici sur une urne, là sur un pilier ; c’est l’Amourou un Génie, tenant un flambeau renversé, de manière à l’éteindre, symbole ou de la mort qui attend Nar- cisse ou des sentiments pervertis qu’il éprouve pour lui-même. Mais, à côté de ces compositions, d’autres peintures, comme la nôtre, nous montrent Narcisse entièrement seul (3).

Philostrate décrit longuement, non cependant sans quelque obscurité, l’attitude du jeune chasseur. Narcisse croisait les pieds ; cette altitude, qui n’est point une marque de mollesse excessive, mais qui se concilie mal avec la dignité suprème, n’était point donnée par les artistes anciens aux dieux au- gusles et terribles, comme Zeus et Pluton ; au contraire, les Érotés et les satyres, personnes placées au bas de l’échelle mythologique, la plèbe divine, pour ainsi dire, infléchissent volontiers leurs corps, s’appuient mollement sur des colonnes ou des cippes, penchent la tête et ramènent une jambe sur l’autre ; Apollon, Dionysos, Hermès, Héraclès même, quand il se repose, imi- tent en cela les Érotés et les satyres ; ils liennent trop de l’homme pour éviter avec affectation la grâce nonchalante (4). Nulle pose, ce semble, ne convenait

{1) Ges deux mouvements peuvent être distingués l’un de l’autre comme le prouve la pierre gravée, du musée de Florence, que nous reproduisons-d’après Wicar : Narcisse a ôté sa drape- rie ; il ne s’est pas encore penché sur l’eau,

(2) Voir Ant. d’Herculan., VIN, tav. 28-31.

(2) Voir Helbig, Wandgemälde, etc. n°’1358, 161, 130%, 1906

(4) Sur l’emploi de cette attitude dans les œuvres d’art, voir Stephani, Der ausruhende Herakles, p. 114.