Page:Une galerie antique de soixante-quatre tableaux (Philostrate de Lemnos, trad. A. Bougot).pdf/357

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point celle de Persée. À sa beauté naturelle, à l’éclat d’un sang riche, la fatigue ajoute je ne sais quelle grâce ; les veines se sont gonflées comme il arrive quand la respiration devient plus pressée. La présence de la jeune fille est aussi pour beaucoup dans cette grande animation.



Commentaire.


Andromède n’a pas encore été détachée du rocher sur lequel elle a été exposée, et cependant Persée, son fiancé, son généreux défenseur, se livre au repos ! N’est-on pas tenté de lui dire : « Vous n’avez accompli que la moitié de votre tâche, en tuant le monstre. À quoi vous servent vos talonnières, si vous ne volez pas vers celle que vous avez sauvée ? Si terrible qu’on puisse le concevoir, un combat n’a pas dû épuiser la force d’un héros tel que vous ; le prix de la victoire n’est pas ici une couronne que vous deviez attendre de vos juges ; c’est votre fiancée ; elle peut croire que la gloire de la sauver et le péril vous ont tenté plus que sa beauté ne vous a séduit. » À l’artiste nous dirions : Voyez comme les peintres de Pompéi, comme plusieurs sculpteurs de bas-reliefs ont traité cette légende. Ont-ils voulu nous montrer l’instant qui suit la victoire de Persée ? le héros, plaçant le pied sur une saillie de rocher, tient dans sa main gauche un peu en arrière, la tête de Méduse, et de la main droite soutient Andromède déjà délivrée de ses fers pour l’aider à descendre[1] ? Veulent-ils, au contraire, nous montrer Persée au repos ? Ils placent auprès de lui Andromède. Le héros appuie sa main droite sur l’épaule de sa fiancée, et tous deux contemplent le monstre qui meurt sous leurs yeux[2]. Des fatigues de Persée nous n’apercevons aucune trace sur sa figure, ni sur son corps, ni dans son attitude ; point d’abattement, point de veines gonflées, point de visage baigné de sueur, point d’Éthiopiens apportant du lait pour réconforter le héros. Rien ne nous empêche de croire qu’il a vaincu le monstre sans effort, c’est bien le héros que nous voyons ailleurs planer avec aisance dans les airs, au-dessus du monstre, ou s’avancer avec sécurité au devant de lui jusque dans les flots, la harpé dans une main, la tête de Méduse dans l’autre. S’il a éprouvé les émotions de la lutte, nous sommes bien sûrs qu’elles n’ont pas persisté après la victoire ; tant il y a de grâce et de dignité dans tous ses mouvements !

La comparaison avec les œuvres d’art qui nous restent n’est donc point favorable à notre tableau. Ne nous hâtons pas cependant de le juger avec sévérité. Aux yeux des anciens, il devait avoir un premier mérite, c’était de rappeler une pièce d’Euripide ; selon le poète grec, les pâtres de l’Éthiopie avaient apporté du lait et du vin au héros épuisé de fatigue[3] ; c’était

  1. Helbig Wandg, nos 1186, 1187, 1188, 1189.
  2. Ibid., 1190.
  3. Nauck, 135, fragm. trag.