Page:Une galerie antique de soixante-quatre tableaux (Philostrate de Lemnos, trad. A. Bougot).pdf/358

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l’Amour qui avait délivré Andromède, peut-être sous la figure d’un jeune homme ailé. Ces inventions avaient peut-être paru bizarres et téméraires aux premiers spectateurs de la pièce d’Euripide (1) ; mais, comme il arrive, à la faveur d’une poésie éclatante, les conceptions extraordinaires se font accepter ; puis elles perdent peu à peu ce qu’elles ont d’étrange ; elles acquièrent même un certain attrait et se soutiennent par elles-mêmes, après ne s’être soute- nues que par la richesse de la diction.

Mais, dit-on, l’art qui emprunte son sujet à un autre art doit le modifier suivant ses propres règles et son propre génie ; oui, sans doute, s’il y a tout à gagner à modilier, et tout à perdre à conserver la conception première. Était- ce le cas pour notre tableau ? L’artiste, en suivant Euripide, pouvait renou- veler, du moins en peinture, un sujet, maintes fois traité avant lui mais d’une façon différente : ses devanciers avaient représenté un Persée aimable et Charmant invincible par supériorité de nature, sortant du combat comme d’un festin ; il conçut un autre Persée, aussi vaillant que le premier mais plus semblable à un vigoureux athlète ; ne remportant pas la victoire sans peine, tombant de fatigue aux pieds de sa fiancée, conservant tout juste assez de force pour la considérer, non pour dénouer ses liens. Le spectateur com- prendra que Persée à couru quelque risque, son dévouement pour Andro- mède n’en paraîtra que plus touchant ; la récompense, qui lui est réservée, n’en semblera que plus méritée. Mais fallait-il qu’Andromède, exposée depuis longtemps et qui avait passé par toutes les émotions de la terreur et de l’es- pérance, restàt enchaînée après la victoire de son libérateur ? Non sans doute. Le peintre aura recours à un artifice souvent employé par son art ; l’Amour interviendra pour achever la täche entreprise par Persée : n’est-ce pas lui, d’ailleurs, qui l’a commencée, de concert avec le héros, puisque Persée ne s’est jeté dans cette aventure que par amour ? Le poète avait montré Persée implorant Eros, le peintre montrera Eros répondant à son appel et conser- vant d’ailleurs son rôle ordinaire, qui est d’amener la jeune fille vers son fiancé ; car c’est là ce que fera Eros, nous n’en pouvons douler, après avoir détaché Andromède. Tel fut sans doute le raisonnement de notre peintre ; et il faut bien avouer que dans cette manière de concevoir son sujet, ce qu’il perdait en délicatesse et en grâce, il devait le gagner en vérité, et aussi peut- être en émotion ; un Persée victorieux du monstre, mais vaincu par la fatigue, est plus voisin de l’humanité ; il nous touche plus que s’il n’avail besoin pour vaincre que de se montrer. Dans une peinture de vase citée par Brunn (2), la délivrance d’Andromède est aussi l’œuvre de deux personnages : Persée vainqueur du monstre est assis sur un rocher ; la tête de Méduse, désormais inutile, git à l’écart ; Athénà détache Andromède. Quelle pouvait être ici


(1) lbid., 192. (2) Journal de Fleckeisen, 181, p. 83. La peinture en question a été éditée dans l’Arch Zeitung, 185 ?, pl. 42.