Page:Une galerie antique de soixante-quatre tableaux (Philostrate de Lemnos, trad. A. Bougot).pdf/360

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était nue comme dans un tableau décrit par Lucien, ou bien, comme surla plupart des monuments, vêtue d’un chiton qui laisse voir, suivant les cas, une plus ou moins grande partie de la poitrine.

Eros avait dans le tableau la taille et la figure d’un jeune homme. Philos- trate remarque avec raison que l’art représente ordinairement Eros sous les traits d’un enfant ; mais l’exception qu’il signale n’est pas la seule. IL serait aisé de citer une foule de statues, de pierres gravées, de peintures même qui nous montrent Eros comme un adolescent (1). Tel est, entre autres, un camaïeu ou graffito de Pompéi qui représente Eros tenant dans la main gau- che un bouclier orné du Gorgoneion et appuyant la main droite sur un épieu (2). Ces armes sont des jouets entre les mains d’un enfant ; sont-elles maniées par un adolescent, elles prennent, elles reprennent plutôt leur si- gnification belliqueuse. Sans doute le peintre de notre tableau n’avait pas cru devoir associer un enfant à l’entreprise d’un héros, et puisque Eros peut être de deux âges, grâce à l’imagination des arlistes et des poètes, il était naturel de lui donner, en cette occasion, l’âge des pensées généreuses et des brillants exploits. Faut-il croire maintenant avec Philostrate qu’Eros était encore haletant, par suite de la part qu’il avait prise à la lutte contre le monstre. Cela paraît bien subtil, et plus digne d’un rhéteur qui fait le métier de commentateur que d’un artiste qui cherche à être clair pour tous, etnon pas seulement pour un sophiste ingénieux, Peut-être l’Amour se soulevait-il surla pointe des pieds pour détacher Andromède, et cet effort lui donnait-il l’air de respirer péniblement ; peut-être aussi, car il est difficile en ces questions de s’arrèter à une supposition qui salisfasse de tout point, peut-être Philostrate avait-il bien deviné l’intention du peintre : car un artiste pouvait tout aussi bien qu’un rhéteur faire ce beau raisonnement ; puisque le monstre avait eu à combattre un héros amoureux, c’est comme s’ilavait eu deux adversaires, Persée et Eros, et tous deux doivent être fati- gués par leur propre victoire, celui-là plus, parce qu’il n’est qu’un homme, celui-là moins, mais ’d’une façon visible, à cause de sa nature divine.

Les Éthiopiens devaient former, dans notre tableau, un singulier groupe. Pourquoi le peintre les avait-il introduits dans sa composition ? sans doute pour être fidèle jusqu’au bout à la fable d’Euripide, et aussi parce que la peinture sait tirer parti des figures étranges. Combien de fois les maîtres vénitiens ont-ils représenté des nègres, dans des tableaux qui par le sujet même ne semblaient pas pouvoir les admettre ? Les nègres en effet peuvent servir de repoussoirs ; ils exaltent les couleurs qui les avoisinent ; ils communi- quent un éclat surprenant au teint des personnages qu’ils accompagnent ; si un sang généreux paraissait couler dans les veines de Persée, comme le


(1) Müller-Wieseler, D. d. a. K., 1, 1453 II, 630, 632, 644, 651. €) Helbig, Wandg., n° 621.