Page:Une galerie antique de soixante-quatre tableaux (Philostrate de Lemnos, trad. A. Bougot).pdf/370

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tout autre arbitre de juger entre elles, il serait embarrassé, je crois, pour rendre sa sentence : tantôt elles rivalisent entre elles, ayant toutes des bras frais comme la rose, des yeux pleins de vivacité, de belles joues, une voix emmiellée, pour me servir d’une aimable expression de Sappho. Près d’elles, Eros penchant son arc en pince la corde, la fait chanter dans tous les modes, et prétend qu’à elle seule elle est aussi complète que la lyre véritable ; il semble mouvoir ses yeux avec rapidité, comme s’il poursuivait, en pensée, quelque rhythme. Que chantent donc les jeunes filles ? car la peinture a représenté aussi quelque chose du chant. Elles disent qu’Aphrodite est sortie de la mer fécondée par une pluie céleste ; en quelle île elle est abordée, elles ne le disent pas encore, mais elles nommeront Paphos. Oui, c’est bien la naissance de la déesse qu’elles célèbrent ; leur attitude le montre assez ; fixer les yeux sur le ciel, c’est indiquer qu’elle en est descendue ; relever doucement les mains, en tenant la paume tournée en haut, c’est montrer qu’elle est sortie des flots ; sourire, comme elles le font, c’est rappeler le calme de la mer.



Commentaire.


La statue d’Aphrodite, le bosquet de myrtes, le chœur de jeunes filles, tout montre que nous avons devant les yeux une fête de la déesse, ou du moins une des cérémonies de cette fête. Sommes-nous à Corinthe où, dans les périls de la cité, les courtisanes revêtues d’un costume solennel, faisaient en chantant et en dansant le tour des autels d’Aphrodite ? Mais ici le vêtement est des plus simples ; Philostrate n’a pu s’y tromper ; ce sont des jeunes filles qui forment le chœur sacré. Serions-nous à Hermione, cette ville voisine de Trézène, où les jeunes filles et les veuves qui devaient se remarier offraient un sacrifice à la déesse devant son temple[1] ? Mais, il y aurait dans la composition un rôle principal, autre que celui d’une maîtresse de chœur. Le peintre n’a-t-il pas voulu nous conduire plutôt dans une de ces îles de la mer Égée, Rhodes, Chypre ou Paphos, qui honoraient dans Aphrodite la déesse des jardins, des fleurs, du printemps et des senteurs printanières ? Nous retrouvons ici les bosquets qui dans ces îles, couvertes d’une riche végétation, étaient consacrés au culte de la déesse. Le printemps est de retour ; qui en douterait à voir ces jeunes filles poser leurs pieds sur l’herbe fleurie des prairies ? Leurs robes ou plutôt leurs tuniques, qui pour être simples de forme, n’en brillent pas moins de l’éclat des couleurs, ne font-elles pas allusion à la riche parure que le printemps apporte à la terre ? Cette statue n’est-elle point celle que les femmes de Paphos lavaient et

  1. Pausan., II, 34, 11.