Page:Une galerie antique de soixante-quatre tableaux (Philostrate de Lemnos, trad. A. Bougot).pdf/372

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Philostrate se trompe ici, c’est moins sur l’intention du peintre que sur l’es- prit d’une cérémonie religieuse ; s’il avait vu chanter et danser ces jeunes filles à Paphos même, et non en peinture, il se serait livré à ces mêmes interprétations. Ce n’est pas là un raffinement de commentateur et de cri- tique d’art ; c’est de l’exégèse religieuse à la manière des anciens, au moins au temps des sophistes.

Welcker blâme aussi l’attitude d’Eros. C’est là, croyons-nous, un excès de sévérité. Dros est un enfant à qui il doit être permis d’imiter, sur un instru- ment quelconque, et surtout sur la corde d’un arc, un joueur de lyre. C’est un jeu sans doute, mais un jeu en rapport avec l’âge et l’humeur du person- nage. Loin de reprocher à l’artiste un excès de raffinement, nous trouvons que ce détail a sa grâce el sa naïveté. Ce qui à pu donner le change à Wel- cker, c’est l’interprétation de Philostrate qui est en effet ingénieuse et peut- être subtile ; il est difficile d’admettre qu’Eros fasse chanter une corde unique dans tous les tons et en lire les mèmes effets qu’un musicien des sept cordes de la lyre ; mais il est bien évident aussi que c’est là une préten- tion prêtée à Eros non par le peintre, mais par le sophiste. Ses yeux, dit Philostrate, comme animés d’un mouvement rapide, semblaient poursuivre des rhythmes ; sans doute, Eros regardait l’espace, prêtait l’oreille à des sons imaginaires, souriait à ses propres conceptions mélodiques, Il parodiait jus- qu’au bout le joueur de lyre enthousiaste.

L’attitude d’Aphrodite était sans doute celle de la Vénus de Médicis. Phi- lostrate, il est vrai, dit seulement qu’elle était nue et décente ; mais si les jeunes filles chantaient la naissance de la déesse, n’est-ce pas Aphrodite, sortant des flots qui devait présider à la cérémonie et recevoir les prières et l’encens de ce jour ? Or Aphrodite Anadyomène et la Vénus de Médicis, c’est tout un : c’est la déesse paraissant pour la première fois aux yeux des mor- tels, et se dérobant autant que le lui permet sa nudité native. La Vénus de Médicis passe, il est vrai, pour une reproduction de la Vénus de Gnide, non de Paphos. L’idole, adorée dans celte île sous le nom d’Aphrodite, était une boule où une pyramide ; des médailles et des gemmes conservées jusqu’à ce jour nous la montrent sous cette forme au milieu des torches et des candé- labres allumés. Mais à Paphos on connaissait l’Aphrodite de Gnide comme dans l’ile de Rhodes on connaissait celle de Paphos ; le culte de l’ancienne idole ne nuisait pas à celui de la nouvelie, et ce n’était pas sans doute une boule ou une pyramide que les femmes de Paphos, pendant la fête d’Aphro- dite plongeaient dans la mer et paraient des ornements les plus riches, Vraie ou fausse, notre supposition sur l’attitude de la déesse n’est pas du moins en contradiction avec notre supposition sur le sujet du tableau. Notre remarque n’a pas d’autre objet.

Les pierres précieuses, dit Philostrate, étaient imitées, non avec des cou- leurs, mais par la lumière. Philostrate veut faire entendre sans doute que l’artiste n’avait pas seulement cherché à reproduire les vives couleurs des