Page:Une galerie antique de soixante-quatre tableaux (Philostrate de Lemnos, trad. A. Bougot).pdf/391

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à la pitié par l’effroi, il veut être avant tout et seulement pathétique ; ce qui le touche, c’est moins l’injustice du sort, que cette terrible inimitié des dieux contre le héros, que les horreurs du supplice et le contraste entre un corps mutilé et les restes de beauté qu’il conserve encore ; ce qui le préoccupe, c’est moins la joie ou la pitié des immortels que la douleur probable de la nature qui perd en Hippolyte comme un compagnon et un favori. Les œuvres citées plus haut sont plus conformes à l’esprit de l’antiquité tragique et de la religion grecque ; la peinture de Philostrate semble avoir été inspirée par la littérature élégante et sentimentale des Alexandrins. On peut relever toutefois dans la peinture de vase un trait qui est comme une transition entre la conception primitive et la nouvelle : la nature en effet assiste déjà à la catastrophe dans la personne d’un jeune Pan qui s’appuie contre un rocher. Mais combien il y a loin entre cet art si sobre, si discret et l’art qui multiplie les Scopiai, les Thalassai et les Nymphes !



V

Rhodogune.


Le sang rougit la terre, ajoutant une teinte vive à l’éclat de l’airain et des vêtements de pourpre, dont brille le camp ; c’est là un spectacle agréable, mais il nous plaît aussi de voir des cadavres couchés çà et là, des chevaux que la terreur jette hors des rangs, un fleuve qui roule des eaux ensanglantées. Voici des prisonniers et un trophée élevé par Rhodogune et les Perses, à l’occasion de la victoire remportée sur les Arméniens. Ces peuples, pendant les cérémonies mêmes du traité, avaient couru aux armes ; Rhodogune, sans prendre même le temps de relever sa chevelure du côté droit, leur livra bataille et les défit. Ne sent-on pas qu’elle est heureuse et fière de sa victoire ? elle comprend sans doute que cet exploit sera chanté sur la cithare et la flûte en tout pays hellénique. Près d’elle est une cavale de Nisa noire, avec les jambes, le poitrail et les naseaux blancs, et une tache blanche parfaitement ronde, sur le front. Pierres précieuses, colliers, riches ornements de toute sorte, Rhodogune, les dédaignant pour elle, les a prodigués à son cheval, afin que, fier de sa parure, il ronge le frein avec moins d’impatience. Tout brille en elle de l’éclat de la pourpre, hors son visage qui brille par lui-même ; une ceinture gracieuse maintient la robe à la hauteur du genou ; ses braies collantes flattent l’œil par leurs broderies ; de l’épaule au coude une série d’agraffes rattache la manche de la tunique, et dans les intervalles apparaît la blancheur du bras. L’épaule est couverte : ce n’est donc point là tout à fait le costume des Amazones. Il nous faut aussi admirer le bouclier qui est de dimension moyenne, mais suf-