Page:Une galerie antique de soixante-quatre tableaux (Philostrate de Lemnos, trad. A. Bougot).pdf/392

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fit pour couvrir la poitrine. Le talent du peintre est ici digne de notre examen ; la main gauche passée dans l’anneau le dépasse et tient une lance, en écartant le bouclier de la poitrine ; le bord du bouclier, ainsi tenu dans une position verticale, on en aperçoit les deux faces ; la face extérieure n’est-elle pas resplendissante comme l’or ? ne paraît-elle pas animée ? La face intérieure, voisine de la main, s’empourpre des reflets de la tunique qui recouvre le bras jusqu’au coude. Tu me parais sentir la beauté de cette attitude, mon enfant, et tu veux que je discoure à ce sujet : écoute donc. Rhodogune fait des libations en l’honneur de sa victoire sur les Arméniens ; le sens de sa prière se comprend ; elle demande à vaincre les hommes, mais ainsi qu’elle les a vaincus aujourd’hui ; elle ne paraît pas en effet avide des triomphes qui sont dus à l’amour. Sa chevelure est en partie retenue par le bandeau ; de là un air de pudeur qui tempère la fierté de son visage ; elle flotte en partie ; de là un air animé, une apparence de force ; blonds et plus brillants que l’or sont les cheveux ainsi livrés à eux-mêmes. Les autres par cela seul qu’ils sont rangés, ne paraissent pas être tout à fait de la même nuance. Les sourcils naissent du même lieu et tout près de la racine du nez, ce qui est une grâce ; ils s’arrondissent d’une façon encore plus gracieuse ; car il ne faut pas seulement qu’ils fassent saillie au devant de l’œil ; il faut encore qu’autour de lui ils dessinent une courbe. Un air de gaieté répandu sur la joue (car c’est la joue qui donne au sourire tout son charme) accompagne heureusement la douceur du regard. Les yeux sont d’un bleu profond, presque noir ; la nature les a fait beaux, la victoire les anime, le pouvoir royal les rend fiers ; la bouche délicate est mûre pour l’amour, la baiser serait chose douce ; la décrire est difficile. Mais voici ce qu’il te suffit de savoir, mon enfant ; les lèvres sont vermeilles, régulières ; la bouche bien proportionnée s’entr’ouvre pour prier, en action de grâces du trophée. Prêtons l’oreille, et nous entendrons peut-être Rhodogune s’exprimer en grec.



Commentaire.


Quelques anciens ont parlé de Rhodogune sans nous donner sur elle beaucoup plus de renseignements que Philostrate ; nous savons qu’on lui avait élevé une statue d’or qui la représentait, comme notre tableau, les cheveux relevés d’un côté de la tête, de l’autre flottant en liberté. Une image de Rhodogune, avec la chevelure en désordre, aurait été gravée, selon Po-