Page:Une galerie antique de soixante-quatre tableaux (Philostrate de Lemnos, trad. A. Bougot).pdf/398

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

renversé, tenait en plus la couronne qu’il s’apprêtait à déposer sur le front du vainqueur.

Les spectateurs n’auraient pas été, pour nous autres modernes du moins, la partie la moins curieuse du spectacle. Les démonstrations de la joie et de la sympathie étaient-elles donc si vives, si bruyantes, si étranges même dans les jeux publics de la Grèce ? Nous ne saurions en douter. Dion Chrysostome dans son discours sur Diogène de Sinope[1] raconte l’ovation faite à un athlète : « Il sortit du stade porté sur les épaules de ses admirateurs ; autour de lui, derrière lui retentissaient les acclamations d’une foule en délire ; quelques-uns sautaient de joie et levaient les mains au ciel ; d’autres jetaient sur l’athlète des bandelettes et des couronnes. » Les anciens semblent avoir souvent témoigné leur admiration par les gestes les plus expressifs. Pline le Jeune[2] se plaignant de l’indifférence des auditeurs conviés à une lecture, remarque qu’ils n’agitaient pas les mains, qu’ils ne se levaient pas de leurs sièges, ce qui prouve que tel était au moins l’usage des auditoires enthousiastes. Caracalla écoutant un sophiste en Gaule[3] fit à peu près comme les spectateurs d’Arrhichion qui secouaient leurs vêtements ; il se leva de son siège, leva les bras et rejeta sur son épaule ie pan de sa chlamyde, tout cela pour témoigner son admiration.



VII

Antiloque.


Achille aimait Antiloque ; tu l’as sans doute deviné en lisant dans Homère, qu’Antiloque était le plus jeune des Grecs, et en pensant au demi-talent d’or, prix de la victoire. C’est de lui qu’Achille apprit la mort de Patrocle. Ménélas, par un choix habile, l’avait chargé de la nouvelle, dans la pensée que ce serait pour le héros une consolation de reporter les yeux sur l’objet de sa tendresse. Antiloque se lamente avec son ami désolé, lui contient les mains, l’empêche de se tuer ; Achille, j’imagine, est heureux de cette étreinte et de ces larmes. Tels sont les tableaux d’Homère ; voici le sujet traité par le peintre. Antiloque s’étant jeté devant son père, Memnon venu de l’Éthiopie tue le jeune homme et fait reculer les Achéens, glacés d’épouvante comme à la vue d’un monstre ; car avant Memnon, tout ce qu’on rapportait des nègres paraissait fabuleux. Les Achéens s’étant emparés du cadavre, Antiloque est pleuré par les Atrides, par le héros d’Ithaque, par le fils de Tydée, par les deux Ajax. Ulysse est reconnaissable à son aspect sévère, à la vivacité de son regard, Ménélas à la douceur de l’expression, Aga-

  1. D. Chrys., Orat., IX, p. 292 (Reiske).
  2. PL. m, ep., VI, 17, 2.
  3. Philostr., Vit. Soph., II, 32.