Page:Une galerie antique de soixante-quatre tableaux (Philostrate de Lemnos, trad. A. Bougot).pdf/399

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memnon à quelque chose de divin. Le fils de Tydée respire une indocile fierté. Ajax, fils de Télamon, a l’air farouche qui lui est propre ; Ajax le Locrien est prêt à tout oser. L’armée est rangée autour du cadavre qu’elle pleure ; appuyés sur leurs lances fixées en terre les compagnons d’Antiloque croisent les jambes et laissent tomber leur tête appesantie par la douleur. Achille ne se reconnaît pas à sa chevelure, il s’en est dépouillé depuis la mort de Patrocle, mais à sa beauté. Il se lamente couché sur la poitrine d’Antiloque ; il lui promet un bûcher, j’imagine, les offrandes habituelles, peut-être aussi les armes et la tête de Memnon. Memnon en effet subira le même châtiment qu’Hector ; car il ne faut pas qu’Antiloque, même en cela, soit moins bien traité que Patrocle ; quant à Memnon, il se tient debout dans l’armée des Ethiopiens, l’air menaçant, la lance dans la main, une peau de lion sur les épaules, provoquant Achille par son sourire. Mais considérons encore Antiloque, l’âge du premier duvet est déjà passé ; il fait ondoyer une chevelure dorée ; légère est la jambe ; le corps bien proportionné annonce un agile coureur. La poitrine, ensanglantée par la lance, brille comme l’ivoire teint de pourpre. Tout mort qu’il est, l’adolescent loin de paraître triste et de ressembler à un cadavre, a le visage serein et souriant ; c’est que, j’imagine, quand Antiloque a été frappé de la lance, la joie d’avoir sauvé son père était peinte sur sa figure, et quand l’âme a cessé d’animer les traits, loin de souffrir, elle était dominée par un sentiment de bonheur.



Commentaire.


Antiloque était le plus jeune des guerriers grecs, le plus beau après Achille, le favori du plus beau ; en outre il avait sauvé son père en lui faisant un rempart de son corps contre les coups du terrible Memnon. Quelle occasion pour un peintre de charmer les yeux et d’émouvoir la pitié tout à la fois en représentant la mort ou les funérailles d’un pareil héros !

L’ordonnance de notre tableau est aisée à comprendre : d’un côté ou peut-être sur le devant, on voyait le cadavre entouré d’Achille et des six autres chefs ; de l’autre côté ou plutôt sur un plan plus reculé, Memnon au milieu de quelques guerriers représentant l’armée éthiopienne.

On se demande tout d’abord comment Memnon qui est si près, qui brave Achille de son sourire, ne trouble pas le deuil des Achéens. Sur un certain nombre de monuments figurés[1], Memnon et Achille en viennent aux mains autour d’Antiloque ; on comprend que le fils de Nestor sera vengé

  1. Overbeck, Die Bildwerke, p. 514, 526.